C’est en lisant le journal local dans le restaurant routier qu’il fréquente tous les jours depuis 20 ans que le Dr Éric Henry, généraliste à Auray (Morbihan) a eu comme un électrochoc. « Nous étions lundi, j’étais assis en attendant mon déjeuner, je lisais tranquillement le journal quand mes yeux se sont posés sur un article en bas de page. Celui-ci racontait comment une association du coin, parti en convoi humanitaire, avait permis à 23 Ukrainiens cherchant à fuir leur pays à trouver exil en France », raconte-t-il encore très ému.
« Ça m’a littéralement touché… À ce moment-là je me suis demandé ce que je foutais encore là ! », avance-t-il, encore survolté par la situation.
« Je leur ai tout de suite dit : " Ok, je suis prêt j’ai une voiture break pour le trajet et je vais rassembler du matériel médical" »
Préparer le convoi
En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, le généraliste joint par téléphone l’association Secoutourisme basée à Trégunc dans le Finistère pour proposer son aide. « Ils m’ont tout de suite dit qu’ils avaient besoin de monde et que le prochain convoi qu’ils avaient organisé partait le 16 mars, soit deux jours plus tard… »
« C’est allé à une vitesse… ! se souvient-il. Je leur ai tout de suite dit : " Ok, je suis prêt j’ai une voiture break pour le trajet et je vais rassembler du matériel médical". Ils étaient évidemment ravis, ils m’ont donné rendez-vous le mercredi matin ».
Après avoir rassemblé, en moins de 48 heures, masques contre le Covid, adrénaline, morphine, atropine et antibiotiques « récupérés dans les pharmacies du coin », le généraliste est fin prêt pour partir.
Le rendez-vous est donné en fin de matinée le mercredi 16 mars à Trégunc. Sept voitures dont deux camping-cars remplis de matériel médical et de vêtements, et équipés de talkies-walkies « indispensables », selon lui, sont mobilisés. « Dans chaque véhicule, il y avait deux conducteurs, toutes les deux trois heures nous échangions », narre-t-il.
Trois jours de trajet
Malgré quelques frayeurs sur la route, la première journée de convoi les mène jusqu’à la frontière franco-allemande. « Nous sommes arrivés le soir et nous avons dormi dans nos voitures sur la quatre voies, au pied d’une station-service. Le matin nous nous sommes réveillés dans le brouillard allemand avec un carburant à 2,58 euros le litre. Là, on s'est dit que ça commençait à cogner dans les portefeuilles ! », ironise le médecin.
Heureusement, souligne-t-il, « la préfecture nous avait obtenu les péages gratuits et une entreprise de Concarneau nous avait offert le plein pour assurer au moins la traversée de la France ».
« Nous n’avions pas de temps à perdre, nous devions traverser toute la Pologne en une journée »
En cette deuxième journée de convoi, les bénévoles de l’association prennent la route pour la frontière entre l’Allemagne et la Pologne. Le soir, ils arrivent à Görlitz, une ville allemande. Ils se reposent dans un hôtel, avant un réveil à 5 heures du matin. « Nous n’avions pas de temps à perdre, nous devions traverser toute la Pologne en une journée », dit-il.
Après plusieurs heures de routes, la quinzaine de bénévoles arrive à Przemysl, ville polonaise frontalière à l’Ukraine. Ici, ils sont censés retrouver huit réfugiés ukrainiens pour repartir à Trégunc en Bretagne, là où des familles d’accueil doivent les recevoir.
Après avoir déchargé l’ensemble des dons, les bénévoles s’enregistrent auprès du centre qui gère les départs des réfugiés vers différentes destinations européennes. « Lorsque nous sommes arrivés, les gérants nous ont dit que les huit personnes que nous attendions avaient eu l’occasion de prendre en bus en partance de la France. »
Se pose alors la question de repartir en Bretagne sans permettre à des réfugiés de trouver refuge en France. « Mais rapidement, nous nous sommes dit : " Non, ce n'est pas possible nous n'avons pas fait tout ça pour seulement pour livrer du matériel" », témoigne le généraliste.
15 réfugiés en partance pour la France
Le lendemain, le samedi 19 mars, la quinzaine de bénévoles décide de rejoindre la gare routière. Ils se divisent alors en petits groupes pour proposer à des Ukrainiens de bénéficier des places qu'ils ont dans leur convoi. « Quand nous sommes arrivés à la gare, on s'est dit que ça n'allait pas être facile de convaincre. lIs nous regardaient tous avec un air étonné avec des sacs en plastique rempli d'affaires », se remémore le médecin.
Heureusement, le groupe du Dr Éric Henry rencontre un américain d'origine russe venu à Görlitz pour servir d'interprète aux réfugiés Ukrainiens. « Il avait référencé plusieurs jeunes femmes accompagnées de leurs enfants qui souhaitaient partir en France. Ils nous les ont présentées », raconte-t-il.
S'en suivent alors trois heures de discussions pour gagner leur confiance. « Ce qui les a convaincues, c'est lorsque je leur ai montré ma carte de médecin », relate-t-il. Les autres équipes de bénévoles parviennent aussi à recruter des familles ukrainiennes. Ils repartent tous au centre pour référencer leur départ.
« La présence d'un médecin dans un convoi est très appréciée.
Au total, 16 personnes montent à bord des véhicules du convoi pour un départ à 17 heures. « En montant dans les véhicules, nous nous sommes rendu compte que certains groupes allaient devoir se séparer. Au début, ça a été très difficile, nous les sentions vraiment stressés voire traumatisés. Une des familles venait de perdre la grand-mère dans un bombardement. Nous avons dû vraiment les rassurer », confie le généraliste.
Retour en France
Il faudra deux jours et demi au convoi associatif pour traverser la Pologne, l'Allemagne et la France… Deux jours durant lesquels le médecin se fait le témoin d'un exil forcé.
Les visages marqués, les yeux plissés, les sourires absents marquent profondément le médecin. « Ils paraissaient tous éprouvées. Certains ont dormi non-stop pendant deux jours… Une des mères de famille m'a expliqué qu'elle avait traversé l'Ukraine pendant dix jours pour rejoindre la Pologne avec un enfant en bas âge dans les bras. Au début du trajet, ses yeux n'étaient même plus perceptibles tellement elle était à bout », évoque le Dr Henry la gorge encore nouée.
Mais au fil du voyage les expressions se détendent et les sourires regagnent peu à peu les visages pour faire place à un peu d'espoir. « Progressivement, pendant les pauses, les enfants se sont mis de nouveau à rire, à jouer au foot. Nous avons partagé des repas tous ensemble. À Metz, nous avons pris des photos pour se souvenir de ce moment », se réjouit-il.
Le lundi soir, le convoi arrive enfin à Trégunc en Bretagne, là où les familles d'accueil attendent leurs nouveaux hôtes. L'occasion de se réunir une dernière fois autour d'un repas dans la cantine de l'école du village. « Depuis chaque famille s'acclimate petit à petit. Dimanche dernier nous nous sommes tous revus pour un pique-nique », confie le médecin.
Appel à la mobilisation du monde médical
Aujourd'hui, le généraliste appelle à la solidarité et demande de ses vœux à ce que le monde médical se mobilise. « La présence d'un médecin dans un convoi est très appréciée. J'ai dû soigner des gastro-entérites, des grippes et un cas de Covid. Cela prouve bien que nous pouvons être utiles », insiste-t-il.
Le Dr Éric Henry considère d'ailleurs qu'il y a des milliers de façons d'aider. « Les médecins peuvent proposer de la téléconsultation. Celle-ci peut s'avérer vraiment nécessaire pendant les trajets. Les psychologues vont également pouvoir jouer un rôle important d'ici les prochains mois en faisant connaître auprès des Ukrainiens le dispositif qui permet de bénéficier de consultations gratuites. »
Un prochain convoi organisé par l'association Secoutourisme est prévu le 5 avril prochain. Le Dr Éric Henry invite tous médecins qui souhaiteraient en faire partie à se faire connaître. Vous pouvez le contacter par mail à l'adresse suivante : Henry-eric@wanadoo.fr.
Les médecins agissent
Le Cnom, le CMG, et l'ensemble des syndicats (MG France, CSMF, SML, UFML-S, FMF...) représentatifs de la profession ont témoigné leur solidarité à l'Ukraine. Ils ont appelé les bélligérants « à respecter l'ensemble des soignants et des structures hospitalières. » Le CMG a par ailleurs listé les organismes de collecte de dons : Croix rouge internationale, Médecins du monde, Médecins sans frontières et Fonds humanitaire ONU pour l'Ukraine.
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