Le Quotidien : Pourquoi sortir ce livre maintenant ?
Dr Olivier Milleron : Avec le Pr Grimaldi, nous n’avions pas imaginé une telle situation politique ! Nous défendons depuis des années l’idée qu’il faut un débat démocratique sur notre système de santé. Des décisions ayant beaucoup d’impact politique sont prises alors qu’elles sont présentées comme des mesures techniques. L’objectif est d’expliquer à des non-initiés, même à certaines personnes travaillant dans le milieu médical, comment fonctionne le système de santé, son histoire, ses forces et les différents modèles en présence. Comprendre la catastrophe actuelle passe par l’analyse des décisions qui ont été prises sans débat démocratique.
Dans ce « guide des intox », la médecine libérale en prend pour son grade. Vous prônez la contrainte à l’installation mais ne serait-ce pas totalement contre-productif ?
C’est la seule profession de santé qui n’est pas régulée. Même les dentistes viennent de signer un accord avec la Sécu. Un praticien conventionné reçoit une grande partie de ses revenus de la collectivité. Comment est-il possible de justifier qu’ils n’aillent pas dans des zones sous-dotées ? Ou qu’on ne les empêche pas d’aller dans les zones surdenses ? Les médecins allemands assurent eux-mêmes leur régulation et déterminent combien de généralistes et de spécialistes sont nécessaires pour chaque territoire ! S’ils sont trop nombreux, ils se voient interdire de s’y installer. Il est indéfendable sur le plan démocratique de laisser les médecins s’installer là où ils le veulent pour faire de l’argent.
Je m’attaque aux syndicats de médecins libéraux et surtout aux plus extrêmes d’entre eux qui remportent toujours la partie
Selon vous, la médecine libérale « canal historique » s’oppose à toute politique contraignante, à la permanence des soins… Tous les libéraux sont-ils à mettre dans le même sac ?
Non. Je m’attaque aux syndicats de médecins libéraux et surtout aux plus extrêmes d’entre eux qui remportent toujours la partie. Les praticiens qui font du secteur 1 participent bien, eux, au service public. L’intérêt serait donc de construire des filières de soins et de la coopération systématique afin de sortir de la concurrence.
Hélas, certaines organisations se sont toujours battues contre la Sécu, contre le tiers payant. Idem pour la permanence des soins, seuls 40 % des généralistes y participent. Or, si ces derniers sont payés par la Sécu, ils doivent y prendre toute leur part. La population ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas obtenir de rendez-vous sur les créneaux en début de soirée la semaine ou les week-ends.
La tarification à l’activité (T2A) est selon vous à l’origine de tous les maux et génère des actes inutiles… N’a-t-elle pas des vertus par rapport à l’ancien budget global ?
La T2A est un échec, comme le montre l’utilisation abusive de coronarographies, alors que les données de la littérature montrent que le seul bénéfice de l’angioplastie des coronaires se situe pendant la phase aiguë de l’infarctus. La tarification à l’activité doit être utilisée pour des actes spécialisés, techniques et standardisés, comme la cataracte. Encore faut-il que ces tarifs soient évalués, à leur coût réel. Ce n’est pas le cas.
Pour les soins palliatifs, nous recommandons des prix de journée. Les hospitalisations pour maladies chroniques décompensées devraient être financées par un budget global dédié à la masse salariale. Comment fonctionne-t-on avec les pompiers ? On leur verse leur salaire et on ne les rémunère pas à l’activité. Il faut changer de paradigme.
Ne risque-t-on pas de faire dériver encore davantage les coûts ?
Je ne le pense pas du tout. Avec la T2A, on a demandé à l’hôpital d’être rentable et on a creusé arbitrairement les déficits… À l’inverse, la Californie a bien mis en place des ratios de soignants à l’hôpital et a réussi à réaliser des économies en santé.
Pourquoi vouloir supprimer aussi l’activité libérale à l’hôpital public qui ne concerne que 11 % des praticiens hospitaliers et reste un facteur d’attractivité pour garder les pointures ?
C’est un vrai sujet : il faut supprimer cette activité libérale à l’hôpital public. Les praticiens qui gagnent le plus sont tous professeurs et sont censés avoir une activité hospitalo-universitaire ! Ils sont rémunérés par l’université, mais certains n’ont aucune activité universitaire alors qu’ils utilisent l’hôpital public, son prestige, son matériel, son personnel. Il n’y a rien d’éthique dans ces comportements.
À l’AP-HP par exemple, leur activité privée en 2022 a augmenté alors que leur activité publique diminuait. Nicolas Revel, le directeur général, a jugé cette situation inacceptable. En radiothérapie, les revenus sont de l’ordre de 300 000 euros par an. Pire, selon certains anesthésistes, une des raisons de la désorganisation des blocs opératoires est que le malade privé du grand professeur passe avant tous les autres patients. Il faudra mettre sur la table le débat sur la rémunération des médecins.
Le Nouveau Front populaire a-t-il lu votre livre pour rédiger son programme ?
Leur programme en santé est assez succinct. Emmanuel Macron a bien promis la fin de la T2A et il a déploré que les médecins libéraux soient trop payés à l’acte. Mais rien n’a changé. Nos propositions n’émanent pas de gauchistes, mais de responsables de tout bord. La seule difficulté des politiques sera d’affronter les syndicats de médecine libérale. Depuis Alain Juppé, les politiques ont très peur d’eux. À tel point que les organisations de spécialistes libéraux n’ont même pas eu besoin de faire grève en mai dernier lors du conflit avec les cliniques.
Pour autant, tous les députés qui ont bénéficié du barrage républicain devront prendre rapidement des mesures qui changent la vie des gens, car la santé est un sujet anxiogène qui crée de la colère. En témoigne la loi sur les ratios de soignants à l’hôpital votée au Sénat qui, j’espère, trouvera un consensus et sera votée à l’Assemblée nationale. Cela changerait la donne pour l’hôpital. L’objectif serait progressif à quatre ou cinq ans. Un échec de cette législature risquerait cette fois-ci de faire accéder le Rassemblement national au pouvoir.
*Guide des intox sur notre système de santé, Dr Olivier Milleron et Pr André Grimaldi, publié aux éditions Textuel, 188 pages, 18,90 euros
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