Nous nous étions rencontrés il y a un an. Le climat était euphorique dans le sillage de l'élection d'Emmanuel Macron. La situation aujourd'hui est différente. La Pr Agnès Buzyn, professeur d'hématologie, serait-elle parfois tentée par un retour vers la clinique ?
Je n'étais l'année dernière sûrement pas euphorique mais plutôt impressionnée par l'ampleur de la tâche et de la mission. Par rapport à l'année dernière, je me sens davantage confortable dans la position de ministre. C'est le temps qu'il faut pour appréhender au mieux les dossiers. Mais surtout je suis fière du chemin accompli. Nous nous sommes attelés à des dossiers complexes tant sur le plan technique que politique. Mener avec succès la réforme du reste à charge zéro pour les lunettes, prothèses dentaires et auditives en six mois n'était pas en vérité attendu. J'ai souhaité ensuite transformer le système de santé du fait de ses blocages, de ses dysfonctionnements. C'est une réforme à 360 degrés, très ambitieuse, qui prend en compte la médecine de ville, la médecine hospitalière, les ressources humaines avec la réforme des
études, la gestion des carrières hospitalières, la tarification à l'hôpital et en ville sans oublier le numérique. L'accueil a été assez consensuel du fait d'un constat initial partagé par tous. Au bout d'un an, je suis plutôt rassurée sur la capacité à travailler avec les acteurs de terrain pour faire avancer des réformes sur des objectifs précis. Sont programmées pour demain d'autres réformes d'envergure comme celles du grand âge, des retraites et de la bioéthique. Là aussi, je travaille avec la même méthode, celle de la concertation.
Cela n'a pas été le discours des fédérations hospitalières qui avant la présentation du plan en septembre regrettaient le manque de concertation.
Il n'est pas possible de dire qu'elles n'ont pas été associées à l'élaboration de la stratégie. En revanche, nous n’avons pas présenté dans le détail la totalité des mesures avant le discours du président de la République. Ce qui me semble compréhenssible.
L'acte 2, la présentation de la loi de financement de la Sécurité sociale n'a pas suscité le même enthousiasme. Certains évoquent même une incohérence entre ces deux temps.
C'est pourtant la plus forte augmentation de l'Ondam depuis six ans avec 400 millions d'euros supplémentaires. Au total, ce sont deux milliards d'euros supplémentaires versés dans les caisses des hôpitaux par rapport à l'année dernière. On peut estimer que cela n'est pas assez.
Mais l'effort est significatif. Dans le même temps, il y a lieu de réorganiser notre système
hospitalier. Le plan santé 2022 prévoit une réorganisation de la médecine de ville afin
d'optimiser la prise en charge des urgences. On souhaite aussi recentrer les hôpitaux de
proximité sur leur mission. En vérité, certains ne souhaitent rien changer et disposer en même temps de moyens supplémentaires. Cela n’est pas possible. L'objectif n'est pas seulement la recherche de l'efficience mais aussi de retrouver le plaisir de travailler et restaurer la fierté d'exercer à l'hôpital public.
Ces hôpitaux de proximité seront-ils autorisés à pratiquer de la chirurgie ?
L'idée est de labelliser 500 à 600 hôpitaux de proximité dédiés à la filière gériatrique, aux soins de suite et de réadaptation, à la médecine polyvalente. Des équipes mobiles de territoires de gériatrie voire de soins palliatifs y seront intégrées avec des plateaux techniques en biologie et radiologie. Une pratique chirurgicale n'est pas envisagée. Outre les problèmes démographiques, des seuils d'activité sont requis. Les actes lourds doivent être réalisés dans des hôpitaux de plus grande échelle. En revanche, j'attends que les spécialistes des hôpitaux de recours consacrent des plages de consultation dans ces hôpitaux de proximité. Il y aura des consultations avancées y compris de chirurgiens qui poseront des indications. L’acte chirurgical en revanche sera pratiqué dans des hôpitaux plus équipés.
Comment communiquer auprès des personnels hospitaliers en souffrance qui attendent des avancées rapides ?
En deux ans, les premiers résultats devraient être observés avec une meilleure structuration des soins de ville, avec l'arrivée des assistants médicaux, des infirmiers de pratiques avancées, même si le plan est programmé sur quatre ans. L'ensemble n'est pas aisé à mobiliser. On compte près de 1 200 000 personnes qui exercent dans le secteur dans plus de 3 000 établissements de santé. Il y a également l'essor des maisons de santé et des centres de santé. Pour réformer un tel système, l’énergie à déployer est importante. Rappelons aussi la montée en charge de la télémédecine dont les consultations font l'objet d'un remboursement depuis le 15 septembre. La plupart des professionnels de santé sont conscients des enjeux.
Ce plan ne répond pas au sentiment de souffrance exprimé par les personnels hospitaliers.
Il y répond en rééquilibrant le management hospitalier, en donnant plus de missions à la CME. Nous avons prévu la création de CME de GHT afin de consolider la vision territoriale. Nous souhaitons réaffirmer la place des services hospitaliers par rapport aux pôles. C'est un rééquilibrage souhaité par rapport à la loi HPST. Cela s'accompagne d'une meilleure gestion des ressources humaines notamment des praticiens hospitaliers en reconnaissant et valorisant certaines des missions exercées par les PH, notamment les missions d'enseignement ou administratives. Cette souffrance a été prise en compte dans un groupe de travail dédié consacré à la question des ressources humaines hospitalières. Nous avons la volonté d'améliorer le positionnement des différentes catégories de personnels au sein de l'hôpital dans sa gouvernance. Dans la loi qui sera présentée au parlement en 2019, des articles spécifiques seront consacrés à ces questions.
Ils devront toutefois attendre.
Nous sommes dès cette année en train de modifier le mode de tarification. Les patients diabétiques ou insuffisants rénaux seront couverts par la mise en place d'un forfait. Nous avons par ailleurs multiplié par cinq le financement à la qualité de 60 à 300 millions. Les indicateurs mesurent aujourd'hui le processus de soins et pas assez la qualité des pratiques professionnelles et donc la pertinence des soins et des actes. Une montée en charge est programmée au moins jusqu'en 2020.
On a toutefois l'impression que les bonnes nouvelles ont été immédiatement annoncées. Les mesures concernant les nouveaux seuils d'autorisation avec à la clef des fermetures de services sont en revanche annoncées pour 2020.
Pourquoi cela serait-il des mauvaises nouvelles ? Cette réflexion sur les seuils devrait être accueillie comme des bonnes nouvelles pour les patients. Pour les professionnels de santé, cela peut être douloureux de voir une autorisation d'exercer certains actes retirée. Mais ils ont à coeur d'effectuer leur travail dans les meilleures conditions. J'ai donné des instructions claires à la DGOS qui a lancé une large réflexion sur ce thème. La quantification des seuils doit reposer sur la seule analyse de la littérature médicale. Être sous le seuil d'activité entraîne une perte de chance pour le malade. Cela a été démontré dans le cancer de l'ovaire. Si l'on apporte la preuve qu'une pratique se révèle délétère pour le malade, je ne vois pas comment un professionnel de santé ne puisse pas s'engager dans une réforme qui vise à améliorer la qualité des soins. J’ai bon espoir que ces mesures soient partagées comme de bonnes nouvelles pour tous les professionnels.
Pourquoi faut-il attendre alors que les études cliniques soient sur la table ?
Dès 2014, lors de la rédaction du plan cancer en tant que présidente de l'Inca, j'avais déjà écrit qu'il était nécessaire de relever les seuils pour les cancers de l'ovaire, de l'oesophage, du testicule. Pour autant, il faut mesurer l'impact sur le terrain, au sein même des établissements. Si des chirurgiens perdent leur activité en oncologie, ils n'ont plus d'intérêt professionnel à réaliser seulement des appendicectomies par exemple et donc se désengageront de certains hôpitaux. Nous devons penser comment conserver l'attractivité de ce type d'établissement. C'est ce travail d'accompagnement que nous réalisons actuellement avec les professionnels et les directeurs des hôpitaux concernés.
Des menaces pèseraient selon certains acteurs sur le lancement d'un quatrième plan cancer. Faut-il les croire ?
C'est un peu tôt pour y répondre. Le troisième plan cancer se termine en 2019. Or il a succédé au deuxième plan sans période d'évaluation. Cela s'est avéré un handicap dans la construction du plan actuel. Nous ne disposions pas alors de l'évaluation de l'impact et des besoins. Je préfère faire les choses dans l'ordre, à savoir terminer le plan cancer, vérifier que tous les objectifs ont été atteints, par exemple accéder dans tous les territoires à une reconstruction mammaire sans reste à charge. Il faudra ensuite procéder à une période d'évaluation afin de recenser les manquements et ce qui mérite d'être développé. Après les révolutions thérapeutiques des dernières années, y a-t-il des nouveaux défis ? Quels sont-ils ? J'entends bien les interrogations. Si tous les objectifs ne sont pas atteints, on peut par exemple envisager le prolongement d'un an. Cela ne serait pas nouveau. Il y a eu un an de décalage entre la fin du premier et le lancement du second plan. Je suis d'autant plus convaincue de l'importance du plan cancer que ses acquis inspirent, irriguent la politique de santé menée aujourd'hui sur le niveau des seuils, les critères qualité, la pertinence des soins. Les plans cancer ont exercé un effet modélisant sur les autres spécialités. Les plateformes de génétique moléculaire mises en place lors du second plan sont aujourd'hui déclinées pour un grand nombre de pathologies dans le cadre du plan France Génomique 2025. La structuration en réseau ouvre le champ à toutes les nouvelles initiatives dans la prise en charge de maladies chroniques. Elle a été adoptée par des pays émergents comme la Chine ou la Russie.
Alors que se profile le soixantième anniversaire des CHU, doivent-ils encore tout faire en matière de soins ?
Cela dépend des territoires. Certains ne font que du recours. On peut citer l'hôpital Necker-Enfants Malades pour les adultes. À l’inverse, des CHU situés dans des bassins de population où l'offre est peu développée offrent à la fois une mission de recours et de proximité. Nous devons adapter notre réflexion à l'offre de soins offerte sur un territoire. En ce qui concerne la mission d'enseignement, elle s'étend au-delà du corps hospitalo-universitaire. L'idée est de le reconnaître. Certains font de la recherche clinique, voire fondamentale au-delà du CHU. Il faut valoriser cette valence si elle est exercée. Pour autant, ce statut hospitalo-universitaire est l'un des atouts majeurs de la richesse médicale en termes de progrès médical. Dans d'autres pays, la recherche est séparée des soins. En vérité, chaque mission nourrit l'autre. On est un bon enseignant lorsque l'on pratique la recherche à un moment de sa vie. Rien n'empêche de mieux valoriser ceux qui participent à certaines missions sans appartenir au corps hospitalo-universitaire.
Le rapport de la Cour des comptes publié en janvier dernier suggère pourtant de réserver l'activité de recherche à moins de 10 CHU. Par ailleurs les Pays-Bas auraient dépassé la France en matière de recherche médicale.
Les Pays-Bas sont peut-être un bon modèle. Mais c'est un petit pays avec très peu de disparités régionales. C'est un pays homogène à la fois en termes de caractéristiques de population et sur le plan géographique. Dans un pays qui couvre cinq continents comme le nôtre avec des zones géographiques extrêmement variées, des bassins de vie contrastés et une offre de soins disparate, il s'avère malaisé de prendre les Pays-Bas comme modèle. Par ailleurs, je ne suis pas favorable à l'idée de réduire le nombre de Chu autorisés à faire de la recherche. Nous avons réussi à faire émerger, y compris dans les Chu de petite taille, de la recherche à haute valeur ajoutée. Par ailleurs, on ne peut pas tenir le discours du type « Ce pays est trop centralisé, les cerveaux quittent les territoires » et opérer au même moment un processus de concentration de la recherche. Ce gouvernement souhaite présenter pour tous les territoires une offre à forte valeur ajoutée. L'Ile-de-France concentre déjà 40 % de la recherche française.
Pourquoi avoir pris la décision de supprimer le numerus clausus alors qu'avec l'irruption de l'intelligence artificielle en santé, on ne sait pas comment demain la médecine s'exercera ?
Nous sommes absolument convaincus qu'il faut réformer les premier et second cycles des études de médecine. Nous souhaitons favoriser les passerelles, la diversité des profils de médecins pour être capable de s'adapter. La suppression du numerus clausus en est la conséquence. Actuellement, des briques communes de formation pour les professionnels de santé sont mises en place ainsi que des passerelles entre ingénieurs et médecins par exemple, entre les sciences humaines et sociales et la médecine. La fin du numerus clausus est certes une mesure symbolique. Mais elle ne résume pas la réforme d'ampleur actuellement menée.
Et concernant l'IA ?
Elle est en train de bouleverser les spécialités d'imagerie de l’anatomopathologie. Pour tous les professionnels, l'IA sera un outil d'aide au diagnostic à la prescription. Mais cela ne sera qu'un outil. L'IA nous conduira en vérité à faire davantage de médecine dans le sens de l'accompagnement global. Cela sera un outil comme en son temps la radiologie ou la biologie. Ces technologies ne se sont pas substituées au métier de médecin.
Comment va la start-up nation en médecine ?
Il y a urgence à agir. La santé a été présentée par Cédric Villani dans son rapport comme un chantier prioritaire. Un groupe de travail a été installé afin de réfléchir sur la centralisation de toutes les données de santé remboursées, y compris les actes hospitaliers. Cela s'est traduit par la création d'un health data hub qui réunit toutes les données de santé des Français, anonymisées bien sûr. Cela sera un outil exceptionnel pour toutes les start-up en IA d'élaborer des algorithmes. L'enjeu est bien de développer une filière d'IA en santé. L'intérêt ici n'est pas seulement économique. Utiliser les algorithmes professionnels issus des données de santé de patients traités dans d'autres pays nous expose à des biais liés aux caractéristiques de ces patients ou à des prises en charge éloignées de nos pratiques. Je tiens pour la qualité de la médecine française à ce que nous disposions de nos propres algorithmes.
Et l'industrie pharmaceutique française ?
Les engagements du Comité stratégique des industries de santé seront tenus. Et sont traduits par des articles de la LFSS 2019. Pour autant, je demande aux industries de santé de participer aux économies. Si l'on veut être en capacité de financer les très belles innovations à venir qui doivent bénéficier à tous les Français, des efforts doivent être consentis sur des médicaments plus anciens qui sont parfois des rentes de situation. Le milliard d'économies demandé, vu le coût des médicaments et le niveau des prescriptions, respecte les accords conclus, notamment la hausse de 0,5 % du chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique.
Certains points sont dénoncés par tous les acteurs, y compris par le président de la Commission de la transparence. Pourquoi l'inscription de la liste en sus est conditionnée à l'octroi d'une ASMR 1 à 3 ?
Je suis d'accord avec le président de la Commission de la transparence. Le niveau d'ASMR n'est pas l'outil adapté à une inscription de la liste en sus. Nous devons revoir ce décret Une expérimentation sera lancée en 2019.
Le gouvernement français pense-t-il prendre des initiatives sur le prix des médicaments ?
Une initiative émanant des pays du sud de l'Europe vise à négocier en commun des médicaments. La France, grand marché, n'a peut-être pas les mêmes besoins de s'allier avec d'autres pays. Chaque pays tient à conserver le secret sur les prix négociés. Dans le même temps, le gouvernement américain exerce une forte pression sur une réduction des prix en suggérant en revanche une augmentation des prix en Europe. Ce qui nous obligera à adopter une position commune européenne. Mon inquiétude aujourd'hui porte davantage sur la volonté de la Commission d'harmoniser l'évaluation des produits de santé au niveau européen. Nous pensons au contraire que les pays européens ne sont pas prêts et ne disposent pas du même niveau de compétence ou n'exigent pas la même transparence vis-à-vis des experts. C'est là une spécificité de la France.
Mais comment régler le problème de l'expertise souvent dénoncé par les industriels ?
Lorsque je présidais la Haute Autorité de santé, j'avais pris l'initiative des chefs de cliniques orientés vers une recherche clinique qui ne serait pas uniquement en lien avec l'industrie. Ces universitaires seraient des experts cliniques. Et participeraient ainsi à la création d'une filière publique hospitalo-universitaire sans liens d'intérêt. Il y a une voie d’avenir à explorer.
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