Depuis qu'elle a accédé au rang de spécialité, la médecine générale fait l'objet de formations dédiées à ceux qui souhaitent, sur le tard, l'exercer. Le passage par ces D.U. est de plus en plus recommandé par l'Ordre. Face à un afflux de candidats, le CNGE travaille à un diplôme national pour ces vocations tardives.
La médecine générale, un choix par défaut ? Si certains regrettent que la discipline soit une des moins attractives de toutes les spécialités médicales, d’autres, au contraire, la choisissent bien volontiers. Depuis quelques années, des médecins déjà diplômés, après avoir fait une pause, exercé une autre spécialité ou occupé des fonctions dans l’industrie décident de se lancer dans une nouvelle carrière ou de renouer avec la pratique d’omnipraticien. Mais avant de visser sa plaque, un passage sur les bancs de la fac s’impose.
Lyon, Paris, Nantes, Rennes, Brest… Depuis près de dix ans, une huitaine de départements universitaires de médecine générale proposent un « D.U. » (diplôme universitaire) de requalification en médecine générale. L’intitulé varie d’un établissement à l’autre, mais le principe reste le même : former des confrères à la médecine générale.
La qualification de médecine générale ne s’acquiert plus par défaut
Dr Corinne PERDRIX
Responsable pédagogique du D.U. dispensé par l’université Lyon 1, le premier à avoir été créé, le Dr. Corinne Perdrix associe l’essor de ce type de formation à la reconnaissance de la médecine générale comme spécialité. De 3 à 4 candidats par an, à ses débuts, le D.U. connaît « une explosion de demandes » depuis la fin des années 2010, remarque l’enseignante : 22 dossiers, pour 5 places, ont été reçus pour la prochaine rentrée. « La qualification de médecine générale ne s’acquiert plus par défaut », explique la généraliste lyonnaise. « Certains candidats pensent encore que la médecine générale, c’est simple, poursuit-elle, or ça n’est pas simple de réussir le diplôme quand on n’a pas exercé pendant 15 ans ».
L’Ordre est plus regardant aujourd’hui
« Le spécialiste d’une autre spécialité ne peut pas exercer la médecine générale tout comme l’inverse est vrai », abonde Christian Ghasarossian, responsable du pôle pédagogique du CNGE. « Il y a des compétences spécifiques à acquérir pour être médecin généraliste et certains spécialistes sont un peu étonnés du refus de l’Ordre » de les inscrire au titre de la discipline, poursuit le co-responsable du D.U. de Paris V.
Il faut dire que, depuis 2007, et la qualification des premiers spécialistes en médecine générale, l’Ordre est plus regardant. Un médecin qui n’aurait pas exercé, pendant 3 à 5 ans, la discipline pour laquelle il souhaite être qualifié se verra orienté vers une remise à niveau, note Corinne Perdrix. L’exigence des commissions de qualifications ordinales, l’élaboration d’un référentiel-métier et les avancées pédagogiques ont elles aussi conduit à asseoir ces D.U. dans le paysage universitaire.
Le D.U. m’a bien aidé, je manquais d’expérience récente et de confiance
Dr Philippe CLOESEN généraliste dans le Jura
« L’Ordre ne me laissait pas le choix, je n’étais plus à jour car je n’avais pas exercé pendant les 5 dernières années », indique Philippe Cloesen, fraîchement diplômé de Lyon. Entre l’obtention de son diplôme, à la fin des années 1980, et son souhait de retrouver des patients, le quinquagénaire a occupé des fonctions aussi diverses que variées : missions pendant 6 ans en Afrique au sein de MSF et remplacements en Belgique avant de reprendre, à la trentaine, des études de management et de rejoindre l’industrie pharmaceutique. « La société a fermé et je devais déménager ou faire autre chose », décrypte-t-il. Cette autre chose sera le retour à l’exercice de la médecine. « Le D.U. m’a bien aidé, je manquais d’expérience récente et de confiance », confie-t-il, considérant être « toujours resté en contact avec la médecine, mais c’est différent de la pratique médicale ».
Biologiste assistant hospitalier pendant 3 ans, Yoann Chevallier a décidé de suivre le D.U. lyonnais, faute d’obtenir le poste qu’il convoitait à l’hôpital. Entre la recherche, l’enseignement et la clinique, « j’avais plusieurs casquettes en tant qu’assistant », souligne le trentenaire qui, des trois, préférait la dernière. Il avait d’ailleurs hésité, alors interne, entre la médecine générale et la biologie…
Six types de profil
[[asset:image:10136 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]En fait, six types de profil se distinguent parmi les étudiants des D.U. Pour Christian Ghasarossian, « les candidats les plus favorables sont ceux qui ont arrêté leur exercice pendant quelques années et les professionnels qui ont arrêté la médecine générale pour être médecin du travail ou de la Sécu ». Viennent ensuite « les spécialistes d’autres disciplines qui veulent être généralistes car ils sont ou ont été malades, interdits d’exercice, et pensent que ça va être plus facile, or pas du tout », ajoute-il.
On trouve aussi des médecins qui n’ont pas d’expérience clinique, comme les chirurgiens. Ou encore, poursuit Corinne Perdrix, « des praticiens hospitaliers », voire « des médecins qui ne sont pas satisfaits de leur spécialité ». Sans oublier enfin, les professionnels d’origine étrangère et dont les diplômes, obtenus hors UE, doivent faire l’objet d’une procédure de reconnaissance avant de pouvoir exercer dans l’Hexagone. Au final, « les profils sont très variés, et le niveau des candidats très hétérogènes », relève Corinne Perdrix. Ce qui donne lieu à « des formations très à la carte », pouvant durer de un à trois ans, « comme l’internat ».
À Rennes, le point de départ reste le même pour tous les étudiants du D.U. : évaluation des connaissances et stage chez un praticien MSU. C’est à partir de là que sont définis « les besoins en termes de connaissances », décrypte Didier Myhié, responsable du D.U. Selon ce bilan, les étudiants « reprennent le cursus des internes » et participent aux « échanges de pratiques » où leurs expériences profitent à tous, garantit l’enseignant breton. Ils effectuent au moins 80 jours de stages, une première partie chez le praticien puis « une seconde partie de stages équivalents à des SASPAS », rapporte Jean-Baptiste Blanc, ancien étudiant rennais, sur son blog. Une expérience sur le terrain qui ne semble pas simple à mettre en œuvre car elle nécessite une inscription à l’Ordre. Pour l’institution, « il n’est pas question de m’inscrire tant que je n’ai pas validé le diplôme », détaille celui qui, presque sexagénaire, vient de visser sa plaque après avoir dirigé une entreprise ne présentant « aucun rapport, ni de près ni de loin, avec la médecine ». Passé les difficultés avec l’Ordre, « les patients apprécient » la présence de ces étudiants, assure Didier Myhié.
[[asset:image:10141 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":[]}]]Pour trouver des stages, Laurent Brutus s’est tourné vers ses anciens camarades de fac. Son diplôme de généraliste obtenu à Nantes en 1993, il s’est tout de suite tourné vers la recherche en médecine tropicale, travaillant en Afrique et en Amérique Latine. Rentré en France, dans son laboratoire, au milieu des années 2000, il a « repris goût à la médecine générale : après avoir fait beaucoup de santé publique, j’avais perdu de vue la santé individuelle et je voulais revenir à la médecine de patient ». Il s’est inscrit au D.U. nantais en 2010. « J’ai cru que j’aurais des difficultés sur l’aspect remise à jour des connaissances, mais on est bien encadré, il y a un système de tutorat, c’est très stimulant », explique-t-il, considérant qu’il n’aurait « pas pu faire un retour à la médecine sans passer par là ». Après avoir mené, de front, ses activités de recherche et sa formation, il a obtenu son diplôme en 2 ans. Installé en Vendée, il participe désormais à un projet de MSP dans le secteur de Sallertaine… Et devrait obtenir, à la rentrée, un poste de maître de conférences dans la fac qui l’a formé.
De 4 000 à 7 000 euros par an
« Il fallait faire une remise à jour », admet Philippe Cloesen, désormais installé dans le Jura. Même si cela n’avait pas été obligatoire, il assure qu’il aurait suivi le D.U. par honnêteté vis-à-vis des patients. À ses yeux, se remettre aux études n’a pas été si compliqué, « étudier, c’est facile si c’est pertinent ». Outre un « rafraîchissement de la mémoire », son passage à la fac de Lyon lui a notamment permis de se familiariser avec les outils informatiques et autres charges administratives qui se sont révélés, finalement, être un « plus grand problème que l’apprentissage clinique ».
La seule chose difficile, c’est le financement
Dr Yoann CHEVALLIER
Yoann Chevallier retient, lui, de sa formation en médecine générale « l’impression d’un continuum » avec son précédent cursus. « La seule chose difficile, c’est le financement », souligne-t-il, depuis la MSP où il s’est installé il y a trois mois. Susceptibles d’être pris en charge dans le cadre de la formation continue, les frais d’inscription au D.U. de Lyon s’élèvent à 4 000 € par an. Et grimpant jusqu'à 7 000 € dans d’autres facs.
Compte tenu de cet investissement, la phase de sélection des candidats est essentielle. Variant d’une fac à l’autre, elle devrait être unifiée et les différents D.U. suivre une maquette commune. Le CNGE travaille, en ce sens, à l’élaboration d’un DIU qui serait proposé dans une fac, au moins, de chaque inter-région. « Il s’agit de donner une unité de chance », explique Christian Ghasarossian qui supervise le dossier. « Demain, il y aura un bilan de compétences comprenant une mise en situation chez un MSU qui sera le même pour tous », détaille-t-il. À partir de là, poursuit-il, « soit il est trop tard et le candidat ne pourra pas s’inscrire, soit c’est possible » et un plan de formation, en 1, 2 ou 3 ans, sera esquissé. « Le D.U. collera au programme du DES », décrypte l’enseignant parisien, mêlant enseignements initiaux et expérience sur le terrain.
Alors qu’il y a, cette année, 30 personnes inscrites en D.U., Cyrille Vartanian, chargé de la version nationale du D.U. au CNGE, considère qu’elle devrait attirer davantage de candidats : « Tous les médecins en insuffisance professionnelle vont y être soumis ». Mais cela laisse entière la question de la capacité d’accueil des universités… Et des MSU.