En 2019, quatre millions de Français présentaient une ostéoporose, dont 80 % de femmes. Cette affection est responsable de 484 000 fractures annuelles, pour un coût de sept milliards d'euros. « Alors que ces patients devraient rentrer en priorité dans un parcours de soins de l'ostéoporose, seulement un sur dix va bénéficier d'un dépistage de la maladie (supposant que le lien entre fracture et potentielle fragilité osseuse ait été établi) et d'un traitement. Dans les années 2007 et 2008, les publications sur les fractures atypiques et les ostéonécroses de la mâchoire, pourtant rarissimes avec les bisphosphonates dans l'indication de l'ostéoporose, ont largement contribué à la crise de la prise en charge de cette pathologie. Si seulement 10 % des patients étaient pris en charge en prévention secondaire suite à un infarctus du myocarde, tout le monde crierait au scandale. C'est pourtant ce qui se passe pour les fractures majeures ostéoporotiques, qui n'ont rien d'anodin. Par exemple, un an après une fracture de hanche, la mortalité atteint 20 % », remarque le Pr Thomas Funck-Brentano (hôpital Lariboisière, Paris). Cette pathologie souffre d'une mauvaise image.
Créer des filières sur tout le territoire
Le suivi d’un parcours de soins a pour objectif de diminuer le risque élevé de nouvelle fracture ostéoporotique. Cet évènement est associé à une augmentation de la mortalité, surtout pour les fractures concernant une vertèbre, le col du fémur, le bassin, l'extrémité supérieure de l'humérus, trois côtes à la fois, le fémur distal ou la partie proximale du tibia. Il faut proposer à ces patients un programme de traitement, capable de réduire le risque de nouvelle fracture et de mortalité. « Nous devons déjà concentrer nos efforts sur les 484 000 patients ayant fait une fracture ostéoporotique, et donc sur la prévention secondaire. Les preuves d'efficacité de ces parcours de soins et des traitements anti-ostéoporotiques sont indéniables. Mais alors que ces parcours sont très bien organisés en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, il existe encore de grandes inégalités territoriales en France », note le Pr Funck-Brentano. Le but est donc de créer, partout sur le territoire, des filières dédiées à la prévention secondaire de l'ostéoporose. Tous les patients victimes d'une première fracture ostéoporotique doivent bénéficier d'une évaluation de leurs facteurs de risque (densité minérale osseuse, risque de chute…), d'une recherche de la cause de l’ostéoporose secondaire, de l'initiation d'un traitement et d'un suivi régulier.
Mieux détecter grâce à l'intelligence artificielle
La majorité des patients, qui devraient être pris en charge, ne le sont pas. En effet, les rhumatologues sont en nombre suffisant, les généralistes débordés et parfois désintéressés. Quant aux orthopédistes et aux urgentistes, ils ne sont pas assez souvent moteurs dans l'orientation de leur patient vers une filière dédiée à la fragilité osseuse. De plus, le nombre de prescriptions d'ostéodensitométrie est en baisse. « Avec l'aide de l'intelligence artificielle, les radiologues ont un rôle à jouer. En effet, beaucoup d'informations sont exploitables au cours d'examens d'imagerie réalisés pour d'autres motifs. Par exemple, si l'existence d'une fracture vertébrale nécessitant un avis spécialisé était systématiquement mentionnée dans les conclusions d'un scanner thoracique ou abdominal, cela permettrait de réorienter un grand nombre de patients, qui ne se savent pas atteints d'ostéoporose, vers une filière dédiée. Il en est de même concernant la mesure automatisée de la densité osseuse vertébrale, très corrélée au risque de fracture ultérieure », insiste le Pr Funck-Brentano. Si ce principe était appliqué, un nombre important de patients serait repéré, au risque cependant de générer un afflux difficile à supporter par les seuls spécialistes de l'ostéoporose. « Pour assurer le suivi de ces patients, il faudra donc que d'autres spécialités s'occupent aussi de cette problématique : généralistes, gynécologues, gériatres, internistes, infirmiers de pratique avancée », conclut le spécialiste.
D’après un entretien avec le Pr Thomas Funck-Brentano, hôpital Lariboisière, Université Paris Cité