Nos politiques tentent le passage en force d’une énième réforme des études de santé, ayant amené à la mobilisation des internes pour refuser des mesures qu’ils jugent inadaptées à leur formation et à leur exercice futur. Contrairement à ce que l’on peut voir ici ou là, les internes de médecine générale ne sont pas opposés à l’idée d’une quatrième année, mais à la condition sine qua non de la construire sur des critères pédagogiques et de l’encadrer par des enseignants de leur spécialité.
Pour apprendre à devenir des spécialistes en médecine générale, les internes doivent réaliser des stages en situation authentique, c’est-à-dire en cabinet de médecine générale, auprès d’un médecin ayant le titre de « Praticien agréé maître de stage des universités » ou MSU. Au cours de leur première année d’internat, les étudiants arrivent dans un milieu qu’ils ne connaissent que trop peu. Ils ont toutes et tous réalisé 6 années de formation quasi exclusivement en milieu hospitalier.
Les voilà donc propulsés dans un monde où priment la séméiologie, l’écoute, la négociation quant à la prise en charge et le partage des décisions de soin centrées sur le patient, ses attentes, ses croyances et son mode de vie. Certains diront que les patients en ville sont différents de ceux que l’on trouve dans les services hospitaliers. Ne vous y trompez pas. Ce sont les mêmes patients. Les professionnels de santé les rencontrent juste à des temps différents. D’un côté ces patients sont en face d’un médecin le plus souvent habillé en civil, seul ou accompagné d’un étudiant, dans un cabinet en ville ou en campagne. De l’autre, ils sont allongés dans un lit avec une blouse trop souvent encore ouverte à l’arrière, sans doute pour laisser s’évaporer leur intimité, et voient parfois entrer dans leur chambre d’éminents professeurs accompagnés de nombreux autres médecins, étudiants et professionnels paramédicaux. D’un côté, on peut imaginer qu’ils se sentent plus à l’aise en face d’un interlocuteur connu parfois depuis longtemps, de l’autre, un peu intimidés en face de nombreux personnels en blouse blanche, peu importe leur empathie.
Patient identique, mais contexte différent
Dès lors, le contact et la communication avec les patients ne sont pas les mêmes, alors que le patient, lui, est rigoureusement identique.
Il faut du temps pour apprendre à maîtriser ces différences de relations et pour devenir un professionnel de santé en ambulatoire compétent. Dans ce sens, une quatrième année, encadrée par un enseignant de médecine générale bienveillant et facilitateur des apprentissages a tout son sens.
S’il existe une différence, elle se trouve davantage dans les conditions de travail. À l’hôpital, malgré un fonctionnement administratif lourd et complexe, les professionnels de santé ont moins d’éléments autres que le soin à gérer (hormis les chefs de service). En ville, le professionnel de santé doit gérer son activité de soins, mais également son « entreprise » (son cabinet), les personnes qu’il y emploie, les fournitures, les relations administratives avec la caisse d’assurance maladie… Il est nécessaire d’enseigner ces points si l’on veut qu’ils soient intégrés et maîtrisés. En cela, une quatrième année qui mettrait encore plus l’accent sur l’autonomisation d’un « docteur junior » au sein d’un cabinet de ville est totalement pertinente. À condition que ce junior, qui n’en sera plus un l’année suivante, puisse appréhender tous les aspects de cet exercice différent. À condition aussi que ce docteur Junior puisse être rémunéré comme il le sera un an plus tard, sinon, l’immersion ne serait que partielle. Et la tentation pour certains pourrait être de les utiliser comme une main-d’œuvre ambulatoire à bas coût. Pour éviter cela, l’étudiant devrait être encadré par un MSU aguerri, qui lui apprenne cette autre partie du métier tout en continuant de répondre à toutes questions qu’elles concernent le soin apporté aux patients ou la gestion de son outil de travail.
Dans ce contexte, si ajouter une année de formation me paraît pertinent, le faire à n’importe quel prix et à n’importe quelle condition ne l’est pas. Contraindre les internes à travailler dans des lieux désertifiés, sans concertation, sans encadrement, sans enseignant supplémentaire, sans rémunération adaptée et sans tenir compte de leurs projets personnels ou leur vie familiale revient alors à considérer les internes comme des variables d’ajustement de notre politique de santé.
Nul doute que cette quatrième année entrera en vigueur à court ou moyen terme. Il est encore temps de faire en sorte qu’elle intervienne en respectant les futurs spécialistes en médecine générale. Dans le cas contraire, la situation de notre système de santé continuera de s’aggraver.
Exergue : Une quatrième année qui mettrait encore plus l’accent sur l’autonomisation d’un « docteur junior » au sein d’un cabinet de ville est totalement pertinente.
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