Hospitalocentrisme et hospitalotropisme sont les deux mamelles du soin français

Publié le 18/11/2022
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VU PAR LE Dr MATTHIEU CALAFIORE - Face à l'épidémie de bronchiolite, on s'alarme de la saturation des services de pédiatrie et le ministre a dû généraliser le plan blanc au niveau national. On aurait sans doute été mieux inspiré de prendre des mesures à temps pour prévenir l'épidémie. Mais comme à l’accoutumée, on préfère continuer à faire reposer le soin sur l’hôpital. Toujours. Tout le temps…

Crédit photo : DR

Une épidémie frappe actuellement la France en ce mois de novembre 2022. L’épidémie actuelle, en plus donc de celle du Sars-CoV2 qui dure depuis 2020, est due à la bronchiolite qui touche de plein fouet les enfants en bas âge.

Pour certains pédiatres français, le nombre anormalement élevé de jeunes patients atteints de bronchiolite serait lié à une « dette immunitaire » de nos chérubins. Pour ces confrères, la faute en incomberait à nous toutes et tous, qui aurions « trop » protégé les enfants des infections, à cause des gestes barrière et du port du masque. Ils seraient donc malades… de n’avoir pas été assez malades. Concept étonnant qu’aucune autre société de pédiatrie au monde ne nous envie, ni ne soutient.

Ce concept reviendrait alors à dire que nous avons commis des erreurs grossières depuis des centaines d’années… Que nous aurions eu tort de mettre en œuvre l’assainissement dans nos villes françaises, mesure qui a fait diminuer plus fortement les maladies infectieuses que tous les antibiotiques réunis. Que nous aurions mal agi également en enseignant le lavage des mains, l’hygiène, car cela aurait été de nature à nous priver de maladies salvatrices. Selon ces confrères donc, les maladies seraient une chance dont nous nous priverions. Et cette privation créerait une dette, dont les jeunes enfants paieraient actuellement les intérêts au centuple.

Prévention : la grande absente

Et c’est ce concept qui doit sous-tendre, sans doute, l’absence de réelle politique de prévention en cet automne, pour faire face à la saturation des services de pédiatrie français. Comme à l’accoutumée, la saturation hospitalière est le seul paramètre scruté et pesant dans les décisions de nos tutelles. C’est pour cette raison que notre ministre de la Santé a déclenché il y a quelques jours le plan blanc au niveau national. L’hôpital, déjà exsangue après deux années de pandémie, elles-mêmes faisant suite à plus de 20 années de mauvaises décisions politiques, doit désormais fonctionner en mode « dégradé » : priorité est donnée aux soins urgents et report des soins programmés réputés non urgents. Tout est fait pour améliorer la situation hospitalière.

Tout ? Non. Car à force de tourner sans cesse les regards vers l’hôpital, on prend des mesures qui n’impactent que temporairement et trop à la marge son fonctionnement. Mesures visant à améliorer les capacités d’accueil, à pouvoir soigner encore plus à l’hôpital. Comme si le seul objectif affiché était de pouvoir continuer à dire « venez à l’hôpital, nous vous faisons de la place », là où il faudrait tout faire pour éviter que les enfants et leurs parents n’aient à en arriver jusque-là.

Un peu comme si l’on disait à nos pompiers, l’été « nous allons vous fournir toujours plus de Canadair, toujours plus d’eau » mais que rien n’était fait pour diminuer le risque d’incendie par débroussaillement, équipements de surveillance, voire une interdiction de certaines pratiques à l’acmé du risque.

Afin de diminuer le risque de propagation des virus responsables de la bronchiolite, nous pourrions tenter de limiter les sources de contaminations possibles. Par exemple, en instaurant le masque dans les transports en commun et les espaces clos, donc là où la promiscuité est forte, pour freiner la dispersion d’un virus qui est transmis aux enfants par les adultes, lui aussi, par voie aérienne.

Mais cette mesure n’est pas à l’ordre du jour, d’après le porte-parole du gouvernement. À sa décharge, ce n’est pas comme si ce dernier avait été ministre de la Santé pendant une pandémie, ni médecin de formation…

Non, décidément, rien n’est fait pour améliorer la prévention en santé dans notre pays, hormis les trois futures consultations promises par notre ministre. Gageons qu’il serait surprenant que cette consultation comprenne un volet sur la prévention des infections respiratoires.

Par contre, nous continuons de faire reposer le soin sur l’hôpital. Toujours. Tout le temps. Fort heureusement, jusqu’à présent, les confrères hospitaliers ont su tenir la ligne, mais ils s’essoufflent. Les confrères généralistes en ville seraient d’accord pour prêter main forte en soignant encore plus et mieux la population dans leurs cabinets, à condition qu’on les décharge de tâches chronophages comme les certificats inutiles, les arrêts de travail de très courte durée…

Mais que nenni. Nos gouvernants n’ont les yeux tournés que vers l’hôpital, moyennant une forme de cécité sélective qui leur cache à quel point il va mal. Et tant que l’hôpital tiendra debout, rien ne changera.

Hospitalocentrisme et hospitalotropisme. Deux notions qui ont permis d’obtenir ces pôles de soins et de haute technicité que sont les hôpitaux et les CHU français. Et qui causeront, à terme, leur perte.

Dr Matthieu Calafiore

Source : Le Quotidien du médecin