« Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas », d’Imre Kertész

Une interprétation bouleversante

Publié le 12/06/2014
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Crédit photo : DR

Théâtre

N’auriez-vous qu’une soirée à consacrer au théâtre ces temps-ci, c’est à ce rendez-vous qu’il faudrait vous rendre. On ne peut pas parler de « spectacle », car il s’agit de bien plus. Une plongée dans l’Histoire et dans la haute littérature de notre temps, une plongée dans l’émotion sur les pas d’un écrivain profond et d’un interprète extraordinaire.

Il y a dix ans, au Jardin d’hiver, on découvrit « Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas », un texte de l’écrivain hongrois Imre Kertész, prix Nobel de littérature en 2002. Une adaptation et une mise en scène de Joël Jouanneau, très sobre, fidèle, puissante. Le temps a passé et c’est comme si l’interprète était allé encore plus loin dans ce travail très particulier de transmission d’une écriture, dans la présence d’un acteur à un texte.

« Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas » est un récit, une confession. Un homme, né en 1929, qui a connu les camps à l’âge de 15 ans, Auschwitz puis Buchenwald. Un homme qui a survécu et tenté de vivre parle de lui. Une distance, une ironie parfois. Un ton très particulier, mis en valeur par une traduction scrupuleuse et puissante de Natalia Zaremba-Huzvai et Charles Zaremba.

Lorsque nous pénétrons dans la salle du théâtre de l’Œuvre, le comédien est déjà sur scène. Une petite table, une lampe. Décor de Jacques Gabel, lumières de Franck Thévenon. Assis, il masse son ventre, il fait des exercices respiratoires, comme un athlète qui se préparerait à une épreuve sportive. Ensuite, une heure cinquante durant – et le temps passe très vite –, l’homme s’adresse à nous. Raconte. Jean-Quentin Châtelain tient une liasse de feuillets à la main, mais ne les consulte jamais. Il connaît tellement bien la partition qu’il glisse les feuilles au fur et à mesure, les unes sous les autres, sans avoir eu besoin de les regarder. Au soupir près, il connaît sa partition. Mais sans doute aucun soir n’est-il le même.

Un aveu

Jean-Quentin Châtelain, avec son phrasé particulier, une voix qui évoque lointainement la peine, la douleur, son accent très subtil (il est suisse), nous happe et on ne lâche plus une seconde ce moment terrible et pourtant souvent drôle. Imre Kertész met sa vie dans ces pages et explique pourquoi il n’a jamais voulu avoir d’enfant. Sa prière, ce « kaddish », est une déploration, un aveu. Il parle de sa vie, des épreuves épouvantables qu’il a traversées, il parle en homme qui a survécu sans rien oublier, qui a vécu malgré tout. Il est devenu un artiste, un des plus grands écrivains du XXsiècle et de notre temps et avec ce texte, Imre Kertész dépasse son propre destin pour parler de l’Histoire de l’Europe sans quitter son chemin personnel, pour nous parler de l’humanité tout entière.

Rarement aurez-vous l’occasion d’entendre un si grand interprète. Cet hiver, dans ce même théâtre, dirigé par Bérangère Bonvoisin, Jean-Quentin Châtelain a joué une adaptation de « Gros Câlin », d’Émile Ajar-Romain Gary. Il était savoureux et drôle, et, disons-le, extraordinaire. Ici, dans un registre grave, il atteint des sommets.

Théâtre de l’Œuvre (tél. 01.44.53.88.88, www.theatredeloeuvre.fr), à 19 heures du mardi au samedi, 17 heures le dimanche. Les œuvres d’Imre Kertész sont publiées par Actes Sud. Excellent livret-programme en vente au théâtre (8 euros).

Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9334