Théâtre
« Tout se combinait merveilleusement », observe Gregers Werle, lorsque son ami d’autrefois, Hjalmar Ekdal, lui raconte comment s’est construite sa vie après la faillite de son père. Dans ce « tout se combinait merveilleusement », il y a toute l’atrocité de la manipulation ourdie par Werle père, tout ce qui va conduire à la catastrophe encore plus cruelle, parce que le fils, un exalté, va défaire peu à peu tous les liens fragiles qui constituent la cellule familiale d’Ekdal.
Comme dans toutes les grandes pièces d’Ibsen, il y a quelque chose d’un roman policier. Un secret qui pèse sur chacun. Le titre de la pièce vient de ce qu’un canard sauvage, blessé, a été recueilli par Hedvig, la fille de Hjalmar, et son grand-père. Il survit dans le grenier, un capharnaüm qui jouxte l’appartement-atelier de photographie des Ekdal. Des livres, mais aussi toute une ménagerie. Ce grenier où le vieil Ekdal, ancien associé de Werle, se promène chaque jour et… chasse et où se réfugie Hedvig pour surveiller son protégé.
S’appuyant sur la traduction précise d’Éloi Recoing, Stéphane Braunschweig a dégagé les personnages de complément et installé l’action dans un espace qu’il a imaginé lui-même. Une grande boîte de bois qui basculera tandis que les révélations se succèdent. On ne comprend pas l’option radicale qu’il a choisie : le mur du fond s’ouvre complètement sur une forêt de très hauts arbres. Qui n’a pas lu la pièce ne peut comprendre ce qu’est cet antre.
Cela n’empêche pas d’admirer la haute qualité du jeu, la puissance tragique, la cruauté dans une lumière crue. Saluons tous les comédiens qui jouent ce que demande le metteur en scène : une tension, une retenue, qui sont comme un couteau tranchant. Jean-Marie Windling, filmé, présent-absent dans la partition du terrible Werle père. Les femmes, excellentes, la toute jeune Suzanne Aubert, Chloé Réjon, sa mère, Luce Mouchel, dans une figure lourde de sens. Et Claude Duparfait, Rodolphe Congé, Christophe Brault, Charlie Nelson, Thierry Paret, unis dans un jeu sobre et tranchant.
Un travail âpre, sans concession aucune, qui peut sembler froid, comme si le metteur en scène avait mis ces curieux insectes dans une boîte. Mais l’audace imaginative, la lucidité d’Ibsen subvertissent tout cela.
La Colline (tél. 01.44.62.52.52, www.colline.fr), du mercredi au samedi à 20 h 30, le mardi à 19 h 30, le dimanche à 15 h 30. Durée : 2 h 30 sans entracte. Jusqu’au 15 février. Puis les 26 et 27 février à Lorient, du 15 au 19 avril à Dijon.
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