« Les Enfants du silence », de Mark Medoff

Un classique toujours important

Publié le 23/04/2015
Article réservé aux abonnés
Des artistes engagés

Des artistes engagés
Crédit photo : C. M. MAGLIOCCA/COMÉDIE-FRANCAISE

Le soir de la création du spectacle au Vieux-Colombier, le 15 avril, un certain nombre de sourds ont manifesté devant la salle, distribuant des tracts au public et s’entretenant avec les journalistes par le truchement de traducteurs en langue des signes française. Ils protestaient contre le fait que la pièce soit jouée par des comédiens entendants et surtout que le rôle de Sarah ne soit pas interprété par une artiste sourde, comme cela avait été le cas lors de la mise en scène qui valut à Emmanuelle Laborit le molière de la révélation en 1993. À l’époque, en plus du rôle de Sarah, ceux de Denis et de Lydia étaient également tenus pas des sourds, Noël Chalude et Fanny Druilhe, et le metteur en scène Levent Beskardès était sourd et avait travaillé avec Jean Dalric, qui jouait Jacques.

Dans la troupe de la Comédie-Française qui joue « les Enfants du silence », il n’y a pas de sourd, mais des artistes qui se sont engagés de toutes leurs fibres. Françoise Gillard, dans le rôle de Sarah, s’est interrogée sur sa légitimité. Elle a une sœur sourde. Elle a l’habitude de la langue des signes belge, qui est différente de la LSF.

Un an de travail

N’est-ce pas une bonne manière de sensibiliser un large public à la culture des personnes sourdes ? Et ne peut-on rendre hommage aux acteurs qui ont consacré une année entière à travailler et qui pour certains ont des partitions très difficiles : notamment Laurent Natrella, qui joue Jacques Leeds et doit à la fois parler et signer.

Dans cette production, tout est soigné et sobre, sonne juste : décor, lumières, son et musique, costumes. Anne-Marie Étienne, qui a dirigé les comédiens avec comme conseiller en langue des signes Joël Chalude (Denis dans la version de 1993), a choisi une tension qui correspond à la violence de la pièce de Medoff, dans la traduction de Jean Dalric et Jacques Collard. Elle s’appuie sur une distribution forte. Il y a les personnages qui ne sont pas sourds : la mère de Sarah (Catherine Salviat), le directeur de l’école, (Alain Lenglet), le juriste qui doit intervenir (Nicolas Lormeau). Il y a ceux qui sont des personnages sourds, mais qui parlent : un travail difficile magistralement accompli par Elliot Jenicot et Anna Cervinka, toujours étonnante. Il y a donc le professeur qui tombe amoureux de son élève. Laurent Natrella est remarquable et joue tout en maîtrisant ce double fil de la parole et des signes, tout en contenant l’émotion. Face à lui, une flamme, un esprit rebelle et indomptable à qui Françoise Gillard offre sa nature vive et sa beauté. Lorsqu’enfin Sarah dit quelques mots, on est déchiré.

Ce qui est beau, c’est que le personnage de Sarah nous fait comprendre le point de vue de ceux qui manifestaient devant la porte du Vieux-Colombier.

Vieux-Colombier, à 19 heures le mardi, à 20 heures du mercredi au samedi, dimanche à 16 heures. Durée 1 h 50 sans entracte. Jusqu’au 17 mai. Tél. 01.44.39.87.00/01, www.comedie-francaise.fr.
Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9406