Dans la pénombre de la cave, Hugo comptait le magot. Rachid souffrait le martyre. Comment les choses avaient-elles foiré à ce point ? Dès les premiers tirs, deux Italiens étaient tombés. Mais Hugo avait sans doute déclenché l’opération un peu trop tôt. Il aurait fallu attendre que les mafieux soient quelques mètres plus loin, dans une zone plus dégagée. Les trois rescapés avaient réussi à se faufiler derrière des blocs de rochers et là, cela n’avait pas été la même histoire. La loi des armes. Déchaînement de violence. Des tirs croisés qui avaient déchiré l’air en lames mortelles. Hugo et ses potes avaient l’avantage du terrain mais quatre petites frappes de banlieue contre trois durs habitués aux confrontations, cela équilibrait forcément les débats. Steven était tombé pratiquement tout de suite. Une balle en plein front. Rachid avait vu l’arrière du crâne exploser sous l’impact. Tarik avait été tué à son tour alors que les hommes en noir n’étaient plus que deux. Son corps avait roulé cinq bons mètres en contrebas, un pantin désarticulé à qui on avait coupé les fils. Un autre fils de pute avait été descendu, une rafale de kalach qui lui avait quasiment arraché la tête. C’était en essayant de prendre le dernier à revers que Rachid s’était chopé une balle dans le ventre. Il était resté là, étendu, le regard tourné vers l’azur qui se teintait progressivement d’une rouille malsaine jusqu’à ce qu’Hugo finisse le travail. Après, tout se mélangeait dans sa tête. La douleur atroce. Le sang qui pissait. La blessure comprimée par le tee-shirt roulé en boule d’Hugo. Il ne savait même plus comment ils avaient réussi à revenir dans la cité pour se terrer dans ce trou à rats.
— Hugo, faut que tu m’emmènes à l’hosto.
— Tu sais bien que c’est pas possible.
— Hugo, je vais crever si on reste là.
L’enfant se mit à hurler quand il injecta le vaccin. Dernier acte médical que le Dr Tardieu pratiquait ici. Le petit garçon se réfugia dans les bras de sa mère, un gros bouillon de larmes dans les yeux qui laissait déjà des sillons sur ses joues rebondies. Quand ils furent partis, Yves Tardieu s’assit derrière son bureau. Clap de fin. Un morceau de vie s’effaçait. Il serait toujours temps de faire un bilan plus tard. Il n’avait pas voulu de cérémonie de départ. Il avait toujours trouvé cela insupportable. Pas question de se laisser bouffer par l’émotion. Il avait déjà commencé à faire du vide, les derniers rangements iraient vite. Pas beaucoup d’objets personnels à ramener, juste cette photo de Tatiana, qu’il n’avait pas pu laisser sur son bureau après le drame. Il l’avait cachée là, dans ce tiroir qu’il ouvrait parfois, juste pour humer les jours d’une vie ancienne. Il l’emporterait avec lui. Le Dr Bernard, son successeur, trouverait un cabinet en parfait état de fonctionnement, c’était ce dont ils étaient convenus. Tardieu avait pu le juger lors des deux stages effectués en sa présence, il lui avait même confié un remplacement lors de ses dernières et courtes vacances. C’était l’homme de la situation, aucun souci là-dessus. Un type avec de l’empathie mais suffisamment costaud pour ne pas se laisser bouffer par l’environnement. Il devait arriver dès la semaine suivante ; Tardieu, lui, serait déjà loin.
Il se leva, alla vérifier que la salle d’attente était à peu près nette. Quelques revues à balancer, un cadre à décrocher.
La porte s’ouvrit soudain avec fracas.
La cité n’avait pas dit son dernier mot, elle n’allait pas le laisser partir comme cela.
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