Une coulée de masures qui se déversait doucement dans le cratère. La Paz ressemblait à une vaste cuvette où des cours d’eau dissemblables se rejoignaient et se fondaient en un magma urbain contrasté. Le dispensaire était situé au milieu des bidonvilles, en hauteur, sur l'une des collines qui bordent la cité. Tardieu s’assit sur le banc à la peinture écaillée posé dans la cour. Petite pause bienvenue dans une journée bien remplie. Vue imprenable sur les majestueuses montagnes au loin et le cœur de la ville, ses quartiers d’affaires et ses embouteillages monstrueux.
Il y avait des similitudes avec la Castellane et Marseille. Ce mélange des genres, pauvreté et richesse mêlées dans un paysage à couper le souffle. Violence et humanisme qui se côtoyaient sans vergogne. Il savait que son activité finirait ici, au sein de l’ONG à qui il avait offert ses dernières années de labeur. Une retraite d’un genre particulier. Alejandro s'approcha. Le jeune homme lui faisait penser à Rachid. Mêmes yeux fous, même tempérament emporté. Celui-là, il le sauverait.
Quand Hugo et Rachid avaient fait irruption dans son cabinet, il avait vite compris qu'il était déjà bien trop tard. Les menaces de ce petit con d'Hugo ne lui avaient pas fait peur. Il avait insisté pour appeler le SAMU, tenter quelque chose à l'hôpital était la dernière chance qui restait au gamin. L'autre n'avait rien voulu savoir. Rachid était parti devant lui alors que sous l'intimidation d'une arme, il tentait d'extraire le projectile. Le toubib avait vu la mort s'emparer de son regard. Et dans les yeux qui se teintaient de néant, il avait vu également Aïcha, sa mère, la douleur qu'elle devrait à nouveau affronter.
Il n'avait pas réfléchi. La colère, la rage. Un geste dénué de sens. Hugo n'avait pas vu venir la seringue remplie d'anesthésiant. Il s'était effondré comme une masse sur le sol du cabinet, parti pour de longues heures d’un sommeil sans rêve. Contre la porte d'entrée, il y avait ce gros sac, empli d'un argent sale.
Tardieu était déjà loin quand Aïcha avait trouvé dans sa boîte à lettre cette enveloppe de papier kraft pleine de coupures de cents euros. Il savait que cela ne réduirait en rien son chagrin, juste qu'Aïcha saurait quoi en faire pour poursuivre son combat.
Alejandro s'assit près de lui et s'alluma une cigarette. Il ferait un bon assistant – peut-être même qu'un jour, il deviendrait docteur. Un toubib, un vrai de vrai, comme lui, Yves Tardieu, médecin des corps et des âmes.
Tardieu était apaisé, sa conscience sereine. Il ne regrettait rien. Le reste de cet argent sale allait ici être blanchi. Dans le bon sens du terme. Il permettrait de soulager tant de maux. Bérénice sortit à son tour du dispensaire. Des cheveux blonds où s'emmêlait un vent taquin. Des yeux couleur de ciel. Un sourire éclairait sa face et le monde alentour. Un sourire qui ne la quittait jamais même dans les moments les plus durs.
Tardieu la regarda, n'en revenait pas comme elle ressemblait de plus en plus à sa mère. Bérénice, la fille de Tatiana.
Bérénice, sa fille.
Tardieu sourit à son tour.
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