La rentrée de l'Opéra de Paris

Questions sur trois productions

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Publié le 08/10/2018
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Opéra-Bérénice L

Opéra-Bérénice L
Crédit photo : MONIKA RITTERSHAUS/OPÉRA DE PARIS

OPéra-Bérénice H

OPéra-Bérénice H
Crédit photo : MONIKA RITTERSHAUS/OPÉRA DE PARIS

Reprise pour la sixième fois depuis sa création en 2005, la production de « Tristan et Isolde » de Wagner aura fait de l’usage ! On l’a entendue dirigée par Esa-Pekka  Salonen, absolument féerique, puis Valeri Gergiev, Semyon Bychkov et enfin Philippe Jordan, qui la reprend et fait encore mieux dans la fluidité et la précision. La vidéo de Bill Viola est toujours aussi gênante au premier acte, la mise en scène de Peter Sellars toujours aussi minimaliste et dramatique. La distribution actuelle est dominée dans les rôles-titres par Andreas Schager et Martina Serafin.

Une résurrection qui interroge

« Les Huguenots », de Giacomo Meyerbeer, absent de cette scène depuis son centenaire en 1936, soulève un certain nombre de questions. Ce style de « grand opéra à la française », avec ses cinq actes, son ballet (ici non dansé), son caractère spectaculaire (ici totalement absent) et sa durée (5 heures avec entractes) est-il toujours adapté, sinon aux goûts, du moins aux habitudes du public d’aujourd’hui ?

Une autre question est celle de la viabilité d’une telle production. Dix représentations sont programmées pour cette première série. Rempliront-elles la salle bastillane ? Y aura-t-il des reprises ? Les cinémas UGC, qui ont relayé l’opéra le 4 octobre, ont bradé les places 10 € moins cher que le prix annoncé. L’Opéra de Paris sera-t-il obligé d’en faire autant ?

Le bilan de la première représentation n’est pas très positif. La mise en scène du Berlinois Andreas Kriegenburg hésite entre plusieurs styles et ne va jamais au bout de ses partis pris. L’énorme dispositif d’Harald B. Thor occupe toute la scène mais n’est jamais le cadre d’effets spectaculaires. Les costumes de Tanja Hofmann sont chics et colorés mais hésitent entre plusieurs époques.

Et, surtout, une telle résurrection s’impose-t-elle si on ne peut réunir la distribution indispensable, à savoir sept rôles dont au moins trois sont des formats et des typologies vocaux exceptionnels ? Marguerite de Valois était de loin le rôle le mieux tenu, par Lisette Oropesa, grande voix claire phrasant superbement les longues séquences de ses airs surdimensionnés, à la virtuosité se jouant des difficultés techniques. En revanche, le ténor Yosep Kang abordait son air du I, « Blanche Hermine », un des plus attendus de l’œuvre, avec des aigus incertains, le souffle court et l’élocution quasiment incompréhensible. Michel Marlotti a tenu avec beaucoup de souplesse et d’élégance un Orchestre de l’Opéra de Paris parfois un peu hésitant. Et au final, l'entreprise a été bien accueillie.

Une création mondiale

Commande de l’Opéra de Paris au compositeur suisse Michael Jarrell (né en 1958 et qui avait déjà créé au Châtelet « Cassandre », en 1994), « Bérénice », d’après Racine, a remporté lors de sa création mondiale au Palais Garnier un franc succès. L’opéra condense en un seul acte de 90 minutes la tragédie racinienne sur le déchirement entre amour et pouvoir.

Il y a un grand décalage entre une magnifique partition orchestrale, qui mobilise un effectif énorme, dirigée avec une précision d’horloger par Philippe Jordan, et la partie chantée, écrite aux limites vocales des interprètes. Ces derniers sont poussés à un langage parlé-chanté qui n’a rien d’original (on pense à Berg en permanence) et la plupart du temps incompréhensible, d’autant que très souvent plusieurs dialogues sont superposés. C’est hélas souvent le fait des opéras contemporains créés en français et peut-être une explication à leur si courte viabilité.

La distribution était pourtant magnifique, avec un extraordinaire Titus, Bo Skovhus, pour qui Jarrell a composé un superbe monologue, et la star de la musique contemporaine, le soprano canadien Barbara Hannigan, phénoménale vocalement mais assez décevante dans son incarnation de la reine judéenne. La mise en scène de Claus Guth, dans un décor ultraclassique et efficace de Christian Schmidt, pousse également les chanteurs dans des attitudes extrêmes, nuisant souvent à la compréhension de l’action et condamnant les spectateurs à se cramponner au surtitrage.

À l'Opéra Bastille, « Tristan et Isolde » jusqu'au 9 octobre, « les Huguenots » jusqu'au 24 octobre. Au Palais Garnier, « Bérénice » jusqu’au 17 octobre. Tél. 0892.89.90.90, www.operadeparis.fr

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin: 9692