« The Indian Queen »  en DVD

Purcell revu par Sellars

Publié le 11/03/2016
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Cl-Purcell

Cl-Purcell

L'opéra d'Henry Purcell (1659-1695), composé en 1664 sur une pièce de Robert Howard et John Dryden, est resté inachevé. Il comprend à peine 45 minutes de musique, sans véritable corps dramaturgique. Connu pour ses réalisations lyriques d'abord excentriques (la trilogie Da Ponte/Mozart au festival Pepsico, à New York), politiques (« The Death of Klinghofer » avec John Adams), puis virant peu à peu au messianisme lyrique (ses oratorios de Haendel, culminant avec « Theodora » au festival de Glyndebourne en 1996), le trublion Peter Sellars a attendu sa maturité de metteur en scène pour réaliser ce vieux projet : utiliser le matériel rudimentaire d'« Indian Queen », y ajouter d'autres musiques et hymnes de Purcell et donner au tout un squelette dramaturgique crédible. Lequel se trouve être inspiré de « La niña blanca y los párajos sin pies », roman de la Nicaraguayenne Rosario Aguilar, raccord avec le sujet exotique de l'opéra.

Pour pimenter la recette, un peu de chorégraphie, signée par le danseur américain Christopher Williams, qui n'est pas ce qu'il y a de meilleur dans l'entreprise. Pour lier le tout, des décors superbes du plasticien Gronk. Et, ici la réussite est incontestable, la participation d'un autre enfant terrible de l'opéra, le chef grec Teodor Currentzis, qui s'est récemment illustré dans des enregistrements mozartiens très contestables, à la tête d'un admirable orchestre russe et son chœur, élément toujours prédominant dans les réalisations de Sellars. Des Russes pour chanter Purcell, ce n'est pas de la plus grande évidence, mais la coproduction s'est faite avec l'Opéra de Perm (et Sellars, à raison, ne tarit pas d'éloges sur le choc de ce « matériel vocal » si éloigné de la tradition britannique pour chanter Purcell) et avec le Théâtre royal de Madrid, ce qui est un défi compte tenu du contenu colonialiste du scénario. Car le roman d'Aguilar est une chronique de l'épopée de la conquête par les Espagnols de l'Amérique du Sud et s'articule autour de l'histoire d'amour entre une indigène et le vice-roi.

Le tout est un spectacle roboratif en deux parties qui dure plus de 3 heures, le point faible de l'entreprise. Probablement moins pour les spectateurs qui l'ont vu in loco que pour ceux, généralement moins patients, qui le regarderont sur leur téléviseur, peut-être en plusieurs fois. À vouloir trop dire, trop montrer, trop illustrer, Sellars dilue beaucoup l'intérêt de l'intrigue, qui est mince. La seconde partie, celle qui contient le plus de la musique originale d'« Indian Queen », paraît sous tous ses aspects une redite de la première. Et, surtout, on n'adhère pas forcément au discours féministe de la fille du vice-roi devenue adulte, qui vire à la suffragette un peu dépassée.

Pour la musique et les voix

L'interprétation musicale est de premier ordre, par la qualité de la direction de Currentzis et du travail des choristes, qui n'ont pas la partie facile avec la fameuse gestuelle expressionniste typique du metteur en scène, et par la distribution des chanteurs et acteurs. Deux contreténors la dominent, le Coréen Vince Vi et le Français Christophe Dumaux. Très convaincantes aussi les voix graves de Markus Brutscher et Noah Stewart. Et dans les rôles féminins, Julia Bulock, et surtout Nadine Koutcher, et comme récitante la très exceptionnelle comédienne Maritxell Careiro. Une réalisation ambitieuse mais non prétentieuse qui restera une des plus discutées mais aussi admirables de Peter Sellars.

À qui voudrait entendre une interprétation admirable dans la pure tradition anglaise des fragments d'« Indian Queen », on conseillera le CD du chœur The Sixteen dirigé par Harry Christophers paru chez Coro (distribution Socadisc). Il comprend aussi « The Masque of Hymen » de Daniel Purcell, le frère de Henry, une curiosité.

L’Opéra de Lyon reprend du 11 au 26 mai une autre collaboration madrilène de Sellars et Currentzis, le doublé « Iolanta » de Tchaïkovski et « Perséphone » de Stravinski, présenté au dernier festival d’Aix-en-Provence.

* 2 DVD ou 1 Blu-ray Disc Sony Classical.

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin: 9477