Dans la nouvelle éponyme d’Annie Proulx (2), qui a inspiré en 2005 à Ang Lee un film poly-oscarisé au succès planétaire (3), un court paragraphe brosse un saisissant portrait des deux cow-boys, avec cette précision : « Neither of them was twenty » (Aucun des deux n’avait 20 ans). Même avec les artifices du cinéma, et aussi extraordinaires que soient les deux interprètes, le film peine à donner à cette réalité une vérité esthétique. L’opéra, qui ne permet aucun artifice et déroule en deux heures une histoire qui s’étale sur une petite vingtaine d’années, nous montre deux adultes bien en chair à qui aucun gros plan n’est épargné. Précision indispensable, nous semble-t-il, sur le degré d’adaptabilité et de crédibilité de cette histoire bouleversante.
La réalisation scénique d’Ivo Van Hove, avec un dispositif très simple, est remarquable. L’action se déroule sans temps mort, plusieurs événements pouvant avoir lieu simultanément. Le fait que l’opéra soit donné sans interruption est un grand atout dramatique, quasi cinématographique. Grâce à quelques projections et vidéos et à d’ingénieux éclairages, on passe sans mal des paysages arides et hostiles des montagnes Rocheuses au Wyoming et aux demeures à la décoration très naturaliste des deux cow-boys et de leurs épouses. Certes, l’âge des acteurs fausse un peu la donne, transformant une histoire d’amour entre deux adolescents en une affaire entre adultes consentants (certaines scènes d’amour sont plus explicites que dans le film), et Annie Proulx, dans son adaptation pour l’opéra, s’est rapprochée de sa nouvelle, dont l’adaptation cinématographique l’avait un peu éloignée. Mais le jeu des deux protagonistes est remarquable de vérité, de tact et de sensibilité, d’autant meilleur que la fin approche et qu’ils sont plus dans l’âge des situations.
Sérialisme
Le point faible de cet opéra est sa partition. Le compositeur américain Charles Wuorinen (né en 1938) est resté dans un sérialisme de bon aloi et à une distance du texte qui ne permet aucune sensualité, aucun épanchement. L’orchestration, trop heurtée dans son déroulement, ne met jamais l’auditeur en situation de se laisser aller à la simple action dramatique. Cette froideur s’arrange un peu vers la fin de l’œuvre, pour rendre un peu plus crédible la dernière scène entre les deux cow-boys et le pathétique solo final d’Ennis, ainsi que sa rencontre avec les parents de Jack.
Les interprètes principaux, deux chanteurs américains, sont remarquables. Le baryton Daniel Okulitch (Ennis) évolue vocalement d’un sprechgesang (parlé-chanté), qui dénote la nature un peu fruste de son personnage, à une maturité étonnante de la ligne vocale. Tom Randle (Jack), malgré une voix plus usée, tient fort bien sa partie, qui est plus dramatique. Les épouses, Heather Buck (Alma) et Hannah Esther Minutillo (Lureen), sont non moins admirables dans leurs compositions et dans la façon dont elles font évoluer leur rôle. Tous les personnages secondaires (parfois doubles) sont parfaits, notamment Jane Henschel, bouleversante dans le rôle de la mère de Jack. Titus Engel dirige les forces madrilènes avec beaucoup d’intensité, particulièrement le formidable chœur du Teatro Real, qui intervient comme la voix de la société et à qui la partition confie peut-être ce qu’elle contient de meilleur.
(2) « Close Range Wyoming Stories », Scribner.
(3) 1 DVD Pathé.
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