Plus connu pour « la Chanson perpétuelle » et le « Poème de l’amour et de la mer », Ernest Chausson, dont la carrière couvre la seconde moitié du XIXe siècle, s’est battu en vain pour imposer à Paris son unique drame lyrique, « le Roi Arthus », dont il avait aussi écrit le livret d’après les légendes médiévales des Chevaliers de la Table ronde. Sa création dut attendre 1903, quatre ans après sa mort accidentelle. L’opéra, qui n’avait jamais été montré à Paris (seulement des versions de concert), a fait l’objet de deux productions scéniques en un an, l’Opéra du Rhin l’ayant monté au printemps dernier.
Il s’agit d’une œuvre à la texture orchestrale très singulière, particulièrement française dans sa couleur et sa déclamation, en dépit d’influences wagnériennes incontestables bien que combattues par le compositeur. Le parallèle avec « Tristan » est indéniable dans sa structure dramaturgique et si l’ombre de Parsifal et de ses chevaliers d’un monde mourant affleure ça et là, on est vraiment en présence d’un chef-d’œuvre profondément original, dans lequel le rôle de l’orchestre est prédominant et périlleux à réaliser. Philippe Jordan reprend le flambeau de son père Armin, qui l’avait enregistré pour Erato en 1985, avec malheureusement une distribution de chanteurs brailleurs que l’on ne peut recommander. Ce n’est pas le cas de celle réunie par l’Opéra de Paris, qui aligne un trio d’as pour les rôles principaux et réalise un sans-faute absolu en y adjoignant une galerie de rôles secondaires impeccables.
Roberto Alagna endosse le rôle héroïque de Lancelot, qui lui va comme un gant. Il y a longtemps qu’on ne l’avait pas entendu dans une telle forme vocale. Avec comme toujours une élocution et un engagement physique qui le placent au tout premier rang de nos chanteurs français. Thomas Hampson, dans le rôle-titre, est somptueux de noblesse vocale et physique et il coiffe lui aussi une couronne d’excellence que peu de barytons de sa génération, et même plus jeunes, peuvent lui disputer. Sophie Koch a un mérite immense, car la tessiture de Genièvre, qu’elle chante vaillamment, hélas parfois au prix de la diction, est inhumaine. Hormis le long duo d’amour entre Lancelot et Genièvre, qui s’étale sur les trois actes et qui est la structure dramatique de l’œuvre (le deuxième tiers est peut-être le seul point faible de l’œuvre), on n’est pas près d’oublier le duo entre Arthus et le fantôme de Merlin, interprété de façon hallucinée par l’excellent Peter Sidhom. Ni Lyonnel, l’écuyer de Lancelot, magnifiquement interprété et sobrement campé par Stanislas de Barberac, la silhouette du laboureur, chanté au mieux par Cyrille Dubois, le Mordred hargneux d’Alexandre Duhamel et surtout le Chœur de l’Opéra de Paris, à qui Chausson a confié, outre des intervention scéniques, un émouvant chœur final.
On a souligné la prédominance orchestrale dans ce drame, une partition qui, dans l’histoire de l’opéra français, n’a guère comme rivale que celle de « Pelléas et Mélisande ». Fort de son travail sur cette dernière et sur la « Tétralogie » wagnérienne, Philippe Jordan réalise avec l’Orchestre de l’Opéra de Paris un vrai travail d’orfèvre, mettant en valeur tant la texture même de l’œuvre, un flot ininterrompu dans lequel jamais rien n’est, comme trop souvent chez Wagner, grossièrement souligné, que les merveilles instrumentales individuelles qui abondent. De tout ce que l’on a admiré depuis son arrivée à son poste de Directeur musical, c’est à notre avis sa plus belle réussite.
Enfin, il faut déplorer une fois de plus qu’aucune autorité ne puisse empêcher de transformer de telles réussites musicales en naufrage esthétique. Non que la direction d’acteurs de Graham Vick ne soit pas soignée, elle va droit à l’action. Mais le choix de son décorateur-costumier est criminel, qui a habillé les personnages au pire décrochez-moi-ça d’un marché aux puces et privé le spectacle de son contexte onirique. On peut faire rêver sans aller jusqu’à la reconstitution à l’armure et au château-fort près, mais certainement pas avec un canapé de skaï rouge, qui sert d’abri aux amours coupables des protagonistes puis de refuge du Roi avant de finir en flammes, point fort d’une dramaturgie scénique. Hélas !
Diffusion le 2 juin sur Mezzo et le 6 juin sur France Musique .
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