Le grand gagnant de l’année est Mathias Enard, récompensé au premier tour par le prix Goncourt pour son septième roman, « Boussole » (Actes Sud). Un imposant roman d’amour et d’érudition qui, à travers les rêveries opiacées d’un musicologue viennois, nous entraîne à Istanbul, Palmyre, Alep, Damas ou Téhéran sur les traces d’aventuriers, écrivains, musiciens, scientifiques ou artistes des siècles passés, un récit qui se lit comme un pont jeté entre l’Orient et l’Occident.
Mathias Enard, 43 ans, a fait de longs séjours au Moyen-Orient après une formation à l’École du Louvre et des études d’arabe et de persan et avant de s’installer à Barcelone. Son premier roman, « la Perfection du tir », en 2003, a reçu le prix des Cinq Continents de la francophonie ; en 2008, « Zone », a été couronné des prix Décembre et du Livre Inter ; en 2010, « Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants » a été distingué par le Goncourt des lycéens.
« Boussole » tient parfois du poème et regorge de références culturelles tout en restant accessible, en même temps qu’il est le portrait en creux d’une femme puissante et le récit d’un amour contrarié. Un roman ambitieux et un geste politique : « Un des objectifs était de lutter contre l’image simpliste et fantasmée d’un Orient musulman et ennemi, en montrant tout ce qu’il nous a apporté (...) Pour beaucoup, en Europe, la peur empêche de voir tout ce qu’il y a de musulman en nous. »
Des romans-monde
Pour fêter son centenaire, l’Académie française a décerné son Grand Prix ex aequo à deux écrivains francophones originaires du Maghreb, l’Algérien Boualem Sansal et le Franco-Tunisien Hédi Kaddour ; leurs romans nous entraînent dans un avenir incertain et un passé décomposé.
Boualem Sansal, 66 ans, a choisi de vivre en Algérie en dépit de ses positions très critiques envers le pouvoir. « 2084. La fin du monde » (Gallimard) met en scène un empire totalitaire régi par le fondamentalisme religieux, où tout a disparu de l’ancien monde – les livres, les musées et même la langue – et où la vie est organisée exclusivement autour de la foi, la prière et les pèlerinages. Un jour, un homme « quelconque » se prend à douter et se lance dans un périple vers la liberté.
Agrégé de lettres modernes, professeur de littérature française, traducteur de l’anglais, l’allemand et l’arabe, Hédi Kaddour, 70 ans, est l’auteur de sept recueils de poésie et de trois romans dont, en 2005, « Waltenberg », prix Goncourt du premier roman. « Les Prépondérants » (Gallimard) est un « roman-monde », comme le définit l’auteur, qui nous ramène dans un protectorat de l’Afrique du Nord dans les années 1920, alors que s’annoncent les prémices de la décolonisation et la montée des périls. L’arrivée d’une équipe de cinéma d’Hollywood avive les conflits entre notables traditionnels, colons français et jeunes nationalistes. Les mondes entrent en collision, les personnages s’affrontent ou se désirent, des amitiés se nouent, des amours illégitimes aussi, certains voyagent jusqu’à Paris ou Berlin ; le chambardement des destinées individuelles dans ce microcosme en suspension annonce le chaos à venir.
Enfermement
Les dames du Femina ont récompensé un auteur masculin pour son premier roman ! Christophe Boltanski, 53 ans, s’était fait connaître comme grand reporter à « Libération » puis au « Nouvel Observateur » et il a publié quatre essais avant de raconter, dans « la Cache » (Stock), comment sa famille d’origine juive a survécu pendant l’Occupation. Le récit est centré sur son grand-père Étienne Boltanski, un médecin immigré d’Odessa, converti au catholicisme, qui, pour échapper aux rafles, a dû se cacher dans un réduit de l’hôtel particulier de la rue de Grenelle où ils habitaient. Une peur et un enfermement qui ont traumatisé l’ensemble de la famille au-delà des années de guerre.
L’enfermement est également dans « D’après une histoire vraie » (JC Lattès), qui a valu le Renaudot à Delphine de Vigan ; un prix que cette auteure à succès de huit romans (dont « No et moi », en 2009, et surtout son récit autobiographique « Rien ne s’oppose à la nuit », en 2011) considère comme « une reconnaissance du milieu littéraire ». En mettant en scène une écrivaine en proie au doute et qui n’arrive plus à écrire depuis le succès d’un roman intitulé « Rien ne s’oppose à la nuit », Delphine de Vigan nous fait croire à une nouvelle autofiction ; mais avec l’arrivée d’une certaine « L », une « consœur » obscure nègre de célébrités, qui la séduit pour mieux la mettre à sa merci, le récit vire au thriller. Un mélange des genres efficace.
Donner une image d’un Racine contemporain est un pari osé et réussi pour Nathalie Azoulai, qui a reçu le prix Médicis pour « Titus n’aimait pas Bérénice » (P.O.L.). Agrégée de lettres modernes, la lauréate a enseigné en lycée avant de se tourner vers l’édition puis de se consacrer à l’écriture ; elle est l’auteure de six romans. L’histoire se passe de nos jours : la narratrice s’appelle Bérénice et son amant, Titus, la quitte pour retourner vers Roma, son épouse et la mère de ses enfants. Alors, pour comprendre et dépasser son chagrin, Bérénice plonge dans les tragédies de Racine, elle s’empare de sa langue puis de Racine lui-même, qui, devenu personnage, rejoue sa vie entre réalité et imaginaire. À quatre siècles de distance, l’amour d’une langue et l’amour tout court se mêlent.
DJ et médecin, Vincent Attalin a électrisé le passage de la flamme olympique à Montpellier
Spécial Vacances d’été
À bicyclette, en avant toute
Traditions carabines et crise de l’hôpital : une jeune radiologue se raconte dans un récit illustré
Une chirurgienne aux nombreux secrets victime d’un « homejacking » dans une mini-série