Claviers non tempérés

Les marteaux du piano

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Publié le 16/09/2019
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Abdullah Ibrahim et Ahmad Jamal ont chacun marqué l'histoire du piano jazz. Une leçon retenue par la nouvelle génération.

À bientôt 85 ans (le 9 octobre), Abdullah Ibrahim (né Johannes Brand, puis surnommé Dollar Brand) a l'esprit et surtout les doigts qui fourmillent de souvenirs, d'images et de remerciements. Son nouvel album en solo, « Dream Time » (Enja/L'Autre Distribution), rassemble un peu tout cela sous la forme d'un bilan musical et humaniste, empreint de spiritualité.

Dans cette longue suite ininterrompue de plus de 66 minutes, enregistrée en direct lors d'un concert en Allemagne, le pianiste sud-africain se rappelle, improvise librement et tire une sorte de bilan, avec lyrisme, dextérité, virtuosité et swing. Si, bien sûr, il évoque ses racines de métis du Cap, la profondeur du chant et des mélodies chaloupées des diverses musiques sud-africaines si récurrentes dans son style, il ne manque pas d'appeler au clavier celui qui fut un de ses mentors, Duke Ellington, ou d'autres grandes figures du jazz contemporain, comme John Coltrane. Une manière émouvante de mettre en lumière toute la brillance d'une longue et belle carrière.

Ahmad Jamal (né Frederick Russell Jones) est un autre pianiste qui a connu –  et connaît toujours – une carrière extraordinaire. À 89 ans, il se produit toujours sur scène, comme cet été à la Fondation Vuitton et à Jazz in Marciac, et fréquente les studios.

Pour y graver « Ballads » (Jazzbook Records/Jazz Village/PIAS), quasiment en solo absolu. Un disque qui pourrait aussi apparaître comme une sorte de point d'orgue et un (trop !) rapide résumé d'une très riche vie musicale.

Imaginatif, créatif et lyrique, celui qui a révolutionné le trio piano-contrebasse-batterie mélange ses propres compositions à certains grands standards, comme le fameux « Poinciana » (apparu à son répertoire en 1958), qui reste un marqueur dans sa longue carrière, commencée alors qu'il était adolescent à Pittsburgh (Pennsylvanie). Une façon très élégante de livrer sa vision de la « musique classique américaine », autrement dit le Great American Songbook.

Générations tout-terrain

Le pianiste belge Éric Legnini revient à l'instrument acoustique, entouré de deux guitaristes, Hugo Lippi et Rocky Gresset, et d'un fidèle ami et complice, le contrebassiste Thomas Bramerie, pour son nouvel opus, « Six Strings Under » (Anteprima/Bando Music). Une formation à cordes sans batteur pour explorer des thèmes originaux du leader et deux reprises, dont celle de haute volée (piano-contrebasse) de « Space Oddity », de David Bowie. Et un tube déjà sur toutes les ondes, « Boda Boda ».

Un disque qui inspire une forme de rêverie et de force tranquille, qui puise son inspiration et son langage musical dans celui de glorieux aînés, comme Nat King Cole ou Oscar Peterson. Très efficace.

Après un séjour de vingt ans à New York, où il a accompagné des pointures comme Gerry Mulligan et Charles Lloyd notamment, le pianiste Franck Amsallem, qui a décidé de retourner en France au début des années 2000, veut faire ses adieux définitifs aux États-Unis à travers un CD, « Gotham Goodbye » (Jazz & People/PIAS).

Pour tourner cette page, il s'est offert un 4tet de standing, d'où émerge le saxophoniste cubain Irving Acao, pour mettre en valeur des compositions personnelles qui ont leur ancrage profond dans l'esprit du jazz. Cet esprit, qui fait appel aux plus grands, anime ces plages particulièrement dynamiques et homogènes. Quand le jazz est là !

Franck Amsallem sera en concert le 29 octobre à Paris, au Sunside.

 

 

Didier Pennequin

Source : Le Quotidien du médecin