Juliette Binoche dans « Antigone »

Les limites de l’international

Publié le 30/04/2015
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Sophocle en anglais

Sophocle en anglais
Crédit photo : J. VERSWEYVELD

Un large écran occupe tout le mur du fond et des images vont continûment l’occuper. Au début, une femme de noir vêtue passe devant une mer déchaînée, dans un vent violent qui soulève le sable et les feuilles. C’est Antigone. C’est Juliette Binoche et cette scène inaugurale fixe, après coup, le mouvement même de la représentation.

Donnée en anglais, dans une traduction nouvelle d’Anne Carson, dont on nous dit qu’elle est poète, cette « Antigone » de Sophocle est d’abord l’émanation d’un projet international. Une production initiée au Luxembourg, avec le Barbican de Londres, le festival de la Ruhr, le Toneelgroep d’Amsterdam, le Théâtre de la Ville à Paris. Autant d’étapes, avant d’autres voyages, jusqu’à New York, notamment.

Bref, c’est une Antigone faite pour s’adresser à un public planétaire. L’anglais sera compris par tout bon écolier. On est étonné par les partis-pris du surtitrage en français, qui édulcore certains mots : ainsi ne parle-t-on jamais de cadavre, de dépouille, mais de corps. Détail, mais cela traduit la manière dont la tragédie de Sophocle, pour simple et pure soit elle, est ici donnée sous un vernis de vitrification.

Ivo von Hove est l’un des plus originaux et puissants des metteurs en scène européens. Il est belge, il travaille à Amsterdam. On le voit souvent en France dans des adaptations de Bergman, Cassavetes, comme dans Shakespeare, Molière ou, plus récemment, Schiller. Mais si l’on retrouve sa manière, on ne retrouve pas son acuité.

Un traitement radical

Des costumes d’aujourd’hui, des canapés, des micros. Un gros soleil brille au milieu du plateau, laissant le visage des comédiens dans le contre-jour. Lorsque les protagonistes prennent la parole, on ne sait pas qui s’adresse à qui. On a le sentiment d’un traitement radical et d’une mise en scène qui imite un peu les séries tellement à la mode. Il faut dire que l’argument ferait un scénario très efficace. Les enfants d’Œdipe et de Jocaste, les enfants de l’inceste, sont à Thèbes. Les frères Étéocle et Polynice doivent régner en alternance mais ils s’entretuent. Leur oncle Créon refuse que Polynice soit enterré selon les rites funéraires. Sa sœur Antigone enfreint seule l’ordre et échoue à convaincre sa sœur Ismène de l’aider. Elle sera enterrée vivante et le malheur s’étendra à Hémon.

Toutes les réserves sautent tant le jeu des interprètes est saisissant. Ivo van Hove a distribué la partie du chœur à trois des interprètes, qui sont aussi d’autres personnages : Obi Abili, le garde, puissant, Finbar Lynch, Tirésias déchirant, Katryn Pogson, Eurydice décidée. Samuel Edward-Cook est un Hémon sensible et vulnérable, Kirsty Bushell une Ismène flamboyante. Patrick O’Kane donne à Créon une puissance sidérante, dans la cruauté comme dans le doute. Juliette Binoche, comédienne ardente, se fond dans la troupe anglophone sans aucun problème. Mais la mise en scène lui demande trop de réserve, une austérité un peu glacée.

Cette froideur de la représentation, ce côté film sous vitrine, ne doit pas vous dissuader de découvrir ce travail. Il s’agit ici d’un très haut niveau de jeu.

Théâtre de la Ville, à 20 h 30 du mardi au samedi, 15 heures le dimanche. Durée : 1 h 45. Jusqu’au 14 mai. Tél. 01.42.74.22.77, theatredelaville-paris.com.
Armelle Héliot

Source : Le Quotidien du Médecin: 9408