Chroniques du travail

Les belles lettres du boulot

Publié le 14/04/2014
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Livres

Prix du Livre Inter pour « la Voyeuse interdite » et prix Renaudot pour « Mes mauvaises pensées », Nina Bouraoui nous plonge, avec « Standard » (1), dans la dépression la plus grise. Après avoir quitté le bar-tabac enfumé de ses parents en province, Bruno Kerjen gagne sa vie dans une entreprise de composants électroniques à Paris. Dès la fermeture du bureau il rentre dans son petit appartement de banlieue se nourrir de plats tout préparés en usant du téléphone rose. C’est ainsi, pense-t-il, la meilleure méthode pour se protéger.

Les jours auraient pu s’écouler ainsi, ternes et paisibles, si Marlène n’était pas revenue. La seule fille qu’il a jamais aimée, au temps du lycée, et qui l’a rejeté. Bruno décide de tenter sa chance à nouveau. « Il était un homme avec une histoire qui allait se faire, il l’avait décidé, il en était fier, préférant se prendre une tôle plutôt que de rester invisible, happé par le vide. » Nina Bouraoui ne nous laisse pas sur notre faim mais que la fin soit heureuse ou pas importe moins que l’élan qui conduit cet homme effacé à prendre enfin des risques.

Gérard Mordillat, pour qui « la seule façon d’être un écrivain ou un cinéaste, c’est d’échapper à la cage dorée du narcissisme créateur pour affronter le réel », signe avec « Xenia » (2) le portrait de deux jeunes femmes asservies par le monde du travail, qui s’unissent pour survivre. Xenia, qui enchaîne les ménages pour nourrir son bébé après que son compagnon l’a abandonné, et Blandine, qui est licenciée pour avoir récupéré des fruits dans les poubelles de l’hypermarché où elle travaille comme caissière. Elles sont emblématiques de milliers de femmes exploitées et humiliées et les héroïnes d’un roman où l’amitié - en dépit de leurs différences -, la solidarité - de personnes parfois inattendues - et la rébellion - qui ne se fait pas toujours dans la violence - sont la base d’une vie meilleure. Les élans du cœur contre la violence de la société.

Un business presque comme les autres

« Cocaïne » (3), le troisième roman de Christophe Mouton, est aussi surprenant que « Un garçon sans séduction » et « Notre mariage ». Il relate l’irrésistible ascension d’un jeune beur de la banlieue parisienne, assez brillant pour intégrer Sciences-Po grâce à une procédure d’exception et qui, humilié d’être renvoyé à son statut de « minorité visible », se lance comme beaucoup de ses copains d’enfance dans le commerce de la drogue. Sous-titré « Business model », ce portrait d’un jeune homme en dealer, qui met en valeur le vocabulaire du management entrepreneurial, est plus ambitieux que ne le laisse supposer son humour et son ton léger. Christophe Mouton y aborde la question de la discrimination positive et surtout de la consommation de cocaïne, en brossant un minutieux profil des « consommateurs », qui invite à s’interroger.

Auteure de deux romans sous le nom d’Isabelle Pestre (« la Onzième Heure » et « la Rencontre »), Isabelle Marrier donne, avec « le Reste de sa vie » (4), un texte troublant et terrible. Elle décrit la dernière journée de travail d’une femme enceinte d’une troisième petite fille, avant son congé parental. L’y attendent un pot de départ et ses collègues pour un au revoir. Ou un adieu, car dans l’ascenseur elle croise celui qui vient peut-être la remplacer. Ce n’est là qu’un des signes annonçant le drame que le lecteur ne découvre, atterré, qu’à la dernière page. Les autres signaux viennent de Délia elle-même. Même en cet ultime moment qui aurait dû être léger, elle se laisse déborder par les mille et un gestes et soucis qui écrasent une femme lorsqu’elle s’efforce d’être une épouse et une mère parfaite, alors que le mari se cantonne dans un égocentrisme satisfait.

L’Inde d’aujourd’hui

Changement de ton avec Vikas Swarup, auteur du best-seller adapté au cinéma par Danny Boyle sous le titre « Slumdog Millionaire » et de « Meurtre dans un jardin indien », diplomate et actuellement en poste au ministère des Affaires étrangères à New Delhi. « Pour quelques milliards et une roupie » (5) est une fresque sociale sous forme de roman d’aventures façon Bollywood. Autrement dit, un conte de fées moderne où une jeune fille contrainte de travailler misérablement pour subvenir aux besoins de sa famille, est choisie par hasard par un richissime industriel pour diriger son entreprise et hériter de sa fortune… à condition qu’elle réussisse sept épreuves.

Poussée par la nécessité mais les pieds bien sur terre, elle embarque pour un voyage au cœur de l’Inde d’aujourd’hui, qui donne l’occasion à l’auteur, à travers une galerie de personnages foisonnante, d’épingler les différentes couches de la société, des campagnes empêtrées dans leurs traditions aux plateaux de téléréalité à Mumbai en passant par la corruption qui gangrène la société indienne contemporaine. Un périple qui fait froid dans le dos en même temps que sourire et qui mène notre jeune héroïne au bout d’elle-même.

(1) Flammarion, 284 p., 19 euros.

(2) Calmann-Lévy, 372 p., 18,50 euros.

(3) Julliard, 397 p., 21 euros.

(4) Flammarion, 142 p., 15 euros.

(5) Belfond, 404 p., 21,90 euros.

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du Médecin: 9318