Par Michèle Thibaudin
Dans les jours qui suivent, le conflit s’intensifie. Les bourreaux sentent poindre la défaite et redoublent de cruauté. Des enfants arrivent avec des blessures sur tout le corps, des fractures multiples et certains ont des éclats d’obus dans les yeux. Je reste jour et nuit à l’hôpital et ne vois plus les enfants de l’orphelinat. Quand ils sont dans la cour, nous entendons leurs rires, ils nous donnent la force de ne pas baisser les bras. Par chance, le réseau de passeurs s’est réorganisé et ils livrent désormais le matériel et les médicaments dont nous avons besoin. Tous les enfants seront sauvés, bonheur indicible !
Un matin calme, un matin où je savoure la joie de voir les enfants revenir à la vie, j’assiste à une séance d’écriture. Les enfants, ils sont une vingtaine environ, sont invités à écrire individuellement ou par deux, à partir d’un mot proposé. Un échange vivant s’établit rapidement et Louise, notre nouvelle infirmière, est parfois obligée d’intervenir fermement pour ramener le calme. Ce jour-là, une adolescente propose le mot « espoir ». Les petits disent des mots, des phrases que Louise retranscrit. Ilan dit qu’il ne connaît pas l’espoir. Louise le lui explique. Le petit garçon l’écoute très sérieusement avant de lâcher : « Moi mon espoir, c’est Zora. » Son petit voisin, jusqu’alors silencieux enchaîne : « Moi mon espoir, c’est de retrouver ma maman. » Dans un coin de la pièce, Zora et Hora semblent seules au monde. Je m’approche d’elles et Zora, crayon en main, m’explique qu’elles composent un poème. La petite fille aux yeux sombres ne lève pas la tête et tire sur la manche de Zora ; je comprends que je dois les laisser.
Quelques jours plus tard, par un bel après-midi de soleil, je fais une pause dans la cour du couvent. Une trentaine d’enfants sont là, les autres sont partis en forêt avec Louise et quelques religieuses, pour se réapproprier peu à peu le monde. Dans un coin de la cour, je vois Hora assise à même le sol, à côté de Zora et Ilan. Ils tiennent de grandes feuilles de papier et dessinent. Quand je m’approche d’eux, Zora me saute au cou et le petit Ilan me serre la main. Hora reste assise et me regarde, elle a encore maigri et ses yeux paraissent d’autant plus grands. Pourtant, dans son regard, une infime douceur s’est installée. Zora me raconte avec enthousiasme et grands gestes que Louise a proposé d’exposer les dessins dans le long couloir gris, elle est chargée de rassembler les œuvres et elle en est fière !
Je me penche sur le dessin de Hora, un jardin minutieusement travaillé, le même jardin. Zora devine mes pensées et se tourne tendrement vers sa camarade. « C’est une artiste Hora, mais pour le moment elle dessine toujours le même jardin ! »
Sœur Lise les appelle, elle profite de moments calmes pour « faire l’école ». Les enfants aiment ces instants qui leur donnent le sentiment de renouer avec une vie normale. Je suis stupéfait de leur attention et leur envie d’apprendre. Hora écoute attentivement la religieuse, elle aussi, et je la vois se pencher sans cesse vers Ilan, jusqu’à ce que je comprenne qu’elle lui souffle les réponses. Le petit garçon embrasse Hora en riant à chaque réponse exacte et en calcul, elle ne se trompe pas souvent. Leur complicité me réchauffe le cœur, je les sens heureux ! Mais même ici, dans le groupe restreint d’enfants, elle ne s’adresse pas directement aux autres.
Je songe avec tristesse que je n’entendrai sans doute jamais le son de sa voix. Zora qui semble deviner mes pensées, me glisse à l’oreille : « Un jour tu sais, elle te parlera. »
Prochain épisode dans notre édition du 22 janvier
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