Un nouvel humanisme ?

Le capitalisme et la destruction créatrice

Publié le 16/06/2014
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Idées

Keynes prenait appui sur le capitalisme pour plaider en faveur d’une relance infinie de la consommation. Cela aboutissait à une impasse : en augmentant les salaires, on réduisait la partie qui devait être réinvestie. Au contraire, ce qui caractérise ce système, dit Schumpeter, c’est la nécessité d’innover, c’est-à-dire de proposer sans cesse des produits nouveaux. Or il y a là une fuite en avant que dénonce bien l’économiste austro-américain : « En détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs, on a abouti à un processus de destruction créatrice. »

C’est dans cette problématique que s’installent les analyses fort intéressantes de Luc Ferry. D’une part, il ne cesse de rappeler à quel point nous vivons mieux qu’il y a cinquante ans. Qui voudrait s’asseoir aujourd’hui dans une 4CV Renault ? L’économie libérale a sorti les masses de la misère, dit-il, fustigeant « l’anticapitalisme de salon ». En même temps, la course à l’innovation permanente, la fulgurance rapprochée d’objets plus performants, s’autodétruisant plus vite, nous plonge dans une semi-folie.

L’auteur en tire des conclusions parfois un peu superficielles, d’autres plus réfléchies. Il nous dit qu’en fait le capitalisme n’a pas de projet particulier ; il produit des objets et des bénéfices, mais il est amoral. Et d’ailleurs, c’est bien l’esprit général du temps, le Zeitgeist de Hegel. On ne sait pas vraiment où on va, mais on se soigne mieux et on vit plus longtemps, n’est-ce pas déjà suffisant ?

L’innovation est frénétique, mais en quoi est-elle vraiment destructrice ? Il y a une rançon à payer à ce changement fou, en dehors des crispations de ceux qui se sentent dépassés. Luc Ferry l’exprime ainsi : « Nous avons vécu, depuis les débuts du capitalisme moderne en Europe, une déconstruction des valeurs et des autorités traditionnelles comme jamais dans l’histoire de l’humanité. » Voir, par exemple, les discussions autour du mariage gay. Dans le domaine de l’art, les règles de la peinture, de la tonalité en musique, les codes du théâtre, de la danse et même du cinéma ont souvent volé en éclat.

Nul pessimisme facile pourtant chez l’auteur, car « ce que nous vivons, dit-il, n’est nullement l’éclipse du sacré, la fin des valeurs, mais leur incarnation dans un nouveau visage, celui de l’Humanité. »

Luc Ferry, « L’Innovation destructrice », Plon, 135 p., 10 euros.

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du Médecin: 9335