Centenaire Birgit Nilsson

La voix du siècle dernier

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Publié le 01/10/2018
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Cl-Birgit

Cl-Birgit
Crédit photo : BETH BERGMAN

Fille de la campagne suédoise, élevée à la dure par des parents fermiers, taillée comme tel et inoxydable, Birgit Nilsson, eut-elle vécu centenaire, aurait pu célébrer cette année une carrière exceptionnelle avec plusieurs générations d’admirateurs. L’avoir entendue à Paris en 1974-1976 dans les inoubliables « Elektra » de Richard Strauss sous la direction de Karl Böhm, et à Orange en 1974 bravant les éléments en Isolde a profondément marqué notre goût musical et la compréhension de cet instrument si singulier qu’est la voix humaine. La sienne était immense, projetait comme une lance, et semblait coulée dans l’airain, tant elle était solide et ses aigus précis et adamantins.

Elle n’était pas une grande actrice, ni une beauté, mais l’époque n’en demandait alors pas tant aux chanteurs d’opéra. Ne disait-elle pas, à qui lui demandait ce qui était le plus important pour chanter Isolde (rôle qui implique près de quatre heures sur scène, qu’elle a chanté 200 fois), que c’était d’avoir de bonnes chaussures ?

Sa carrière commencée en Scandinavie devint vite internationale : Glyndebourne, Vienne, Bayreuth, Munich, Milan, puis l’Amérique en 1959, où elle chanta notamment au Metropolitan Opera de New York l’essentiel de ses rôles sur scène et en studio. Le studio ne rendait pas justice à cette voix probablement trop grande pour être captée par les microphones, fussent-ils ceux de Decca, les plus high-tech des années 1960, pour qui elle enregistra avec Georg Solti la première « Tétralogie » intégrale de Wagner sur 33 tours de l’histoire.

Des soirées inoubliables

C’est dire l’aubaine que représente l’édition par Sony Classical de « Birgit Nilsson – The Great Live Recordings », un coffret (31 CD) d’enregistrements live remastérisés provenant de soirées inoubliables de New York, Bayreuth, Vienne, Sydney et Stockholm. Parmi ces enregistrements précieux, on recommandera plus particulièrement une rareté, « Turandot » de Puccini avec Corelli et Moffo à New York en 1961, sous la direction de Leopold Stokowski ; dans le rôle de la cruelle princesse chinoise, on mesurera au mieux le tranchant de cette voix surnaturelle. Et aussi « la Walkyrie » de New York, dirigée en 1969 par Karajan, avec Vickers, Crespin, Talvela, Adam, Veasey, et une hallucinante « Elektra » dirigée par Böhm au Met en 1971, avec Rysanek et Stewart.

Le personnage n’était pas vraiment perceptible en Europe à l’époque. On possédait quelques images plutôt cocasses dans un enregistrement vidéo du « Making of the Ring », sur la « Tétralogie » historique de Solti. Le film « Birgit Nilsson, a League of her Own », de Thomas Voigt et Wolfgang Wunderlich (DVD Unitel, 90 minutes), réalisé pour le centenaire, montre la Suédoise sous un jour extrêmement sympathique : toujours prête à la plaisanterie, avec un humour au moins aussi tranchant que sa voix, et le cœur sur la main, comme en témoignent ses collègues (Ludwig, Levine, Domingo, Stemme). Quelques inédits parsèment un film très attachant.

Les amateurs les plus pointus se régaleront d'un documentaire de la télévision autrichienne ORF2 de 1993 (elle a habité Vienne et lui dit son amour), « Erz mit Herz », de la série « Lieben Sie Klassik ? », que l'on peut trouver sur Internet. Il contient quelques inédits précieux, comme un duo comique avec Zara Leander et une mort d’Isolde en noir et blanc de 1962 dirigée par Hans Knappertsbusch.

Un livre enfin est consacré à la cantatrice, avec l’appui de la Fondation Nilsson de Stockholm*, « Birgit Nilsson 100 - An Homage », qui complètera idéalement son autobiographie (« La Nilsson. My life in Opera »). C’est un monument somptueusement présenté dans un bel écrin cartonné et qui renferme des photos de tous ses rôles (elle n’était pas particulièrement photogénique, mais certaines donnent une bonne idée de sa présence scénique), des témoignages de collègues et personnalités et des textes sur le prix Nilsson qu’elle a créé, ainsi qu’une abondante revue de presse (712 pages en coffret, Verlag für moderne Kunst, Wien, édition limitée).

https://birgitnilssonprize.org/

Olivier Brunel

Source : Le Quotidien du médecin: 9690