Le diable au quotidien

Humeurs

Publié le 23/06/2014
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Idées

Tout le monde connaît l’ouverture de la boîte de thon dont le bord coupant met la main en sang, les biscuits si bien serrés dans leur habitacle qu’ils poudroient dès qu’on veut en extraire un. Quant aux médicaments, bien souvent rien n’indique de quel côté les ouvrir, sans parler de la notice qui s’envole en escalier et qu’on ne peut plus replier.

Mais il y a bien pire, c’est « l’enfer sur mer », comprenez l’homme sur la plage, l’homme et le chien, l’homme et le bébé hurleur, l’homme et les crottes (voir « Chien »), le sable qui envahit les parties inférieures du corps, le ballon qui rebondit sur votre nez. Sachant cela, pourquoi Julien Jouanneau continue-t-il d’y aller ?

Bien sûr, derrière les situations, les horreurs, les phobies, il y a toujours « les autres », comme disait un penseur existentialiste dont j’ai oublié le nom. Par exemple, l’auteur consacre d’acerbes pages à la moustache du « piteux pionnier pileux », ridicule rectangle de foin. Comment a-t-on pu « laisser de façon délibérée émerger un nid à germes, débris de pain, déjections nasales, radioactivité, bave et poussière sous les narines » ?

Il est à noter la forte fixation de l’ouvrage sur les déchets organiques, tout ce qui suinte, dégouline, bavouille, autant de substances auxquelles il déclare la glaire, le pire étant bien sûr le postillon, pourtant en voie de disparition.

Ceci permet de dire qu’il s’agit d’un livre d’humeur(s), dont se délecteront les atrabilaires de la vie quotidienne, les Schopenhauer en herbe. On regrettera qu’il n’ait pas consacré un chapitre aux brailleurs de portable dans les transports en commun, que nous installerions personnellement en première ligne des « fâcheux ».

La pire des situations envisagée par Julien Jouanneau n’implique pourtant pas directement autrui. C’est le réveil, précisé par « tous les matins immondes » : « Mes paupières s’écartent aussi lourdement que la caverne d’Ali Baba, une buée blanche encrasse mon champ visuel, habemus problèmes. » À chaque aube il meurt, découvrant ainsi qu’on est toujours son pire ennemi.

Julien Jouanneau, « l’Effet postillon et autres poisons quotidiens », Rivages, 170 p., 12 euros.

André Masse-Stamberger

Source : Le Quotidien du Médecin: 9337