Les Italiens venaient d’accoster. Cinq types habillés de noir malgré la chaleur. Deux d’entre eux portaient des sacs visiblement bien remplis. Rachid les vit monter avec quelque difficulté l'escarpement qui menait au sentier où Juan et ses comparses les attendaient. Le soleil déjà haut dans le ciel brûlait le paysage et coulait sur la mer en une nappe d'une brillance impitoyable. D'un revers de manche, Rachid essuya la transpiration sur son front. Les cigales s'étaient tues, augures du drame qui allait souiller un paradis déjà perdu.
Les deux groupes se rejoignirent. Méfiants. Nerveux. Juste unis par un intérêt commun. Échange froid et classique. Un paquet de poudre blanche entamé pour vérifier la qualité de la dope. Une poussière d'ange qui se répartirait bientôt dans la ville et ses alentours, clubs, boîtes de nuit, restaurants chics et branchés. Des rêves assassins pour une jet-set décalée et une jeunesse dorée en mal d'interdits.
Mais ce n'était pas la cocaïne qui intéressait Rachid et ses potes. Ils ne possédaient pas les clés du trafic, n'avaient pas les réseaux pour ça. Non, ils étaient là pour l'autre face du marché, le sac empli de billets que Juan avait amené en paiement. Un sacré paquet de fric qui allait transformer leurs existences. De quoi sortir du caniveau, des petites combines minables qui leur permettaient de survivre. Ils allaient gravir un échelon. Avec ça, ils pourraient envisager l'avenir autrement. Monter leur propre filière, se faire leur place au soleil, intégrer le vrai monde. Hugo leur avait déjà tout expliqué. Il avait un plan. D'abord se faire oublier, car le sang ici appelait le sang. Ensuite s'éloigner un peu de Marseille, ferrer quelques commanditaires et proposer un marché juteux à un parrain local. Hugo avait déjà tout prévu. Demain, ils seraient des princes. On les regarderait avec envie et respect. Rachid se voyait déjà en costard Armani, claquant son blé sans compter, des gonzesses comme s'il en pleuvait. Mais avant cela, il restait des choses à faire.
La transaction avait pris fin. Juan et ses lieutenants étaient déjà remontés sur leurs bécanes alors que les Ritals entamaient le repli. Rachid respira plus fort. Ne pas trembler. Ne pas laisser la peur l'envahir. Plus facile à dire qu'à faire. Il sentait les crocs vicieux d'une frousse pure lui mordre le cœur. La première rafale gifla les lieux, figeant l'instant dans un enfer de feu. Hugo, son chef, avait entamé les hostilités.
Pour Tardieu, les consultations s'enchaînaient. Gestes sûrs et rassurants du praticien. Palpations, prises de tension, écoute des battements de cœurs parfois fatigués et usés par une vie difficile. Comme à l'accoutumée. Ce n'était qu'au moment de partir que revenait la même question : « Alors docteur vous nous quittez ? », suivi de cette incompréhension que Tardieu lisait dans les yeux brillants de plusieurs de ses patients. Un petit truc qui voulait juste dire « Mais qu'est-ce qu'on va devenir sans vous ? ». Une inquiétude muette, parce qu'ici on ne mettait pas de mots sur le désarroi, chacun s'arrangeait comme il pouvait avec ses incertitudes et ses angoisses. Il en avait déjà vu plus d'un aujourd'hui qui n'était venu que pour lui dire au revoir. Pas de symptôme, juste une envie de le saluer de façon touchante et maladroite. Le Dr Bernard, son remplaçant, ferait du bon boulot, il était sûr de cela ; n'empêche, il avait l'impression de les abandonner.
Et comment aurait-il pu se douter que cette journée allait se terminer d’une telle façon ?
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