L’épidémiologiste, responsable du département stratégie et partenariats de l’ANRS-MIE (Inserm), rappelle que la lutte contre ces phénomènes passe par une surveillance et une détection au niveau international. Les médecins de terrain doivent aussi s’impliquer en s’informant sur ces nouvelles maladies et en prenant des avis spécialisés devant des tableaux atypiques d’infection. « Plus le phénomène sera détecté précocement, plus la riposte sera efficace », prévient le Dr D’Ortenzio.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour à toutes et à tous.
Bienvenue. Nous abordons aujourd’hui le thème des zoonoses. Quelle est l’origine de ces maladies ? Faut-il craindre une recrudescence d’épidémies ? Comment les anticiper et s’y préparer ? Pour évoquer ce sujet et répondre à vos questions en direct, nous accueillons aujourd’hui le Dr Éric D’Ortenzio, épidémiologiste, responsable du département stratégie et partenariats au sein de l’
ANRS-MIE (Inserm), également chargé de consultation dans le service maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat-Claude Bernard (AP-HP).
Journaliste QDM (PT)
Le Live chat va bientôt commencer. Notre invité est arrivé dans les locaux de la rédaction.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Dr Éric D’Ortenzio.
Merci d’avoir accepté notre invitation.
Dr Éric D'Ortenzio
Bonjour à tous, et ravi d'être avec vous aujourd'hui pour discuter du sujet important des zoonoses.
docteur R
Y a-t-il aujourd'hui une recrudescence de zoonoses ? Sont-elles plus dangereuses pour l'homme ?
Dr Éric D'Ortenzio
Clairement oui, on note depuis le début des années 2000 une augmentation de la fréquence des épidémies dues à des virus zoonotiques : Chikungunya, Zika, Ebola, Covid et Monkeypox.
Il est difficile de répondre par oui ou par non à la question de la dangerosité. Cela est très dépendant du pathogène responsable de la maladie. Par exemple : la létalité de la maladie à virus Ebola est élevée de l'ordre de 50 à 60 %, alors qu'un virus tel que le Chikungunya avait une létalité beaucoup plus faible mais avec des risques de complications à moyen et long terme, notamment articulaires.
-- Flo
La variole du singe est connue depuis les années 1970 et n'avait jamais inquiété jusque-là. Que s'est-il passé en 2022 pour que tout le monde se mette à en parler ?
-- Renée
Le monkey pox circule depuis plus de 10 ans en Afrique. Pourquoi ne s'en est on pas préoccupé avant, alors qu'une vaccination préventive efficace est possible ? Une fois encore, on attend que la maladie arrive en Europe pour tirer la sonnette d'alarme...
Dr Éric D'Ortenzio
Effectivement, la variole du singe est une maladie endémique dans plusieurs pays d'Afrique de l'Ouest et centrale et circule depuis les années 1970. C'est une zoonose, transmise au départ d'un animal à l'homme puis, potentiellement, il peut y avoir une transmission inter-humaine. De nombreux cas sont régulièrement diagnostiqués en Afrique, parfois avec des complications chez les enfants.
Ce qu'il s'est passé depuis mai 2022, c'est qu'on pense qu'il y a probablement eu une ou des personnes qui sont entrées depuis des zones endémiques africaines, puis ont contaminé d'autres personnes sur le territoire européen. Une transmission inter-humaine, par contact rapproché, s'est alors installée dans la communauté, d'où l'augmentation du nombre de cas en Europe et en Amérique. C'est la première fois qu'une transmission entre personnes est observée en dehors du continent africain.
C'est donc un événement inhabituel sur notre continent. D'où la nécessité d'être vigilant et de mettre en place de la recherche pour améliorer les connaissances sur cette maladie. Les futures avancées seront bénéfiques, bien sûr, aussi pour le continent africain.
Concernant la vaccination contre la variole du singe, il existe effectivement un vaccin développé contre la variole et qui a une certaine efficacité contre la variole du singe. Ce vaccin fait l'objet d'études qui remontent avant l'épidémie en Europe, notamment en République démocratique du Congo, pour mieux évaluer son efficacité. D'autres études vont également avoir lieu en Europe. La France a recommandé la vaccination pour les contacts des cas confirmés, et depuis peu pour les personnes considérées à risque.
(Lire l'article du "Quotidien" du 8/07/2022)
Dr Pannier
Comment estimez-vous la probabilité que la variole du singe sorte de la communauté homosexuelle ? Devons-nous dès maintenant questionner le risque de Monkeypox chez nos patients non homo si l'on trouve des lésions évocatrices ?
Dr Éric D'Ortenzio
Effectivement, la probabilité qu'il sorte de la communauté homosexuelle existe, il est difficile de la chiffrer. Quelques cas, chez des femmes et des enfants, ont été recensés en France et ailleurs dans le monde.
Quand on regarde ce qu'il se passe dans les pays endémiques en Afrique, nos collègues nous expliquent que le virus circule au sein des familles.
Il est important de confirmer le diagnostic chez toute personne qui présenterait des lésions cutanées évocatrices de Monkeypox, qu'il s'agisse d'un homme, d'une femme ou d'un enfant.
Journaliste QDM (SL)
DC
Bonjour. Le système actuel de surveillance en France est-il suffisant pour détecter l'apparition de zoonoses ?
Dr Éric D'Ortenzio
Les agences de santé publique, Santé publique France pour la surveillance humaine et l'Anses pour la surveillance animale, sont organisées pour surveiller et détecter l'apparition de zoonoses. On voit avec Monkeypox que la détection a été rapide et la surveillance efficace.
CV
Quid de la transmission aéroportée du virus MPX dont il est potentiellement question dans un article du 5 juillet et des cas asymptomatiques qui auraient favorisé son expansion ?
Dr Éric D'Ortenzio
La transmission par gouttelette et/ou aéroportée est théoriquement possible. Certaines données commencent à décrire ce mode de transmission, mais des études supplémentaires sont nécessaires.
AnnyCL
Quels examens demander en pratique pour confirmer la contamination Monkeypox et quel traitement ? Merci.
Dr Éric D'Ortenzio
Il faut faire un prélèvement au niveau d'une lésion cutanée et envoyer le prélèvement à un laboratoire de virologie. Le site de la
Coreb (Coordination opérationnelle, risque épidémique et biologique) contient toutes les information sur le protocole de prélèvement et les conduites à tenir.
Sur les traitements, pour l'instant, il s'agit de traitements expérimentaux donnés dans le cadre d'études. Il y a une cohorte observationnelle internationale qui a été mise en place et qui va permettre d'administrer des traitements, notamment le tecovirimat chez certaines personnes à risque de complication.
(Lire notre article du 12/07/2022 " Variole du singe : lancement de l'étude internationale Mosaic")
Un autre point important est la prise en charge de la douleur, puisque certaines lésions peuvent être, selon leur localisation, très douloureuses.
-- Docteur Tant Mieux
Pour le Sars-CoV2, l'hypothèse de l'accident de laboratoire, de plus en plus probable, n'invalide-t-elle pas la thèse de l'origine animale de cette pandémie?
-- David G
Quel scientifique honnête soutient encore la thèse que le sarscov2 est une zoonose? odysee.com.
L’ignorance est un choix.
Dr Éric D'Ortenzio
L'origine du Sars-CoV-2 n'a toujours pas été identifiée. La mission OMS n'a pas permis de déterminer cette origine. Les investigations continuent. Mais effectivement, plus nous sommes à distance du début de la pandémie plus il va être difficile d'en établir l'origine exacte.
DM
Les conditions pour le don du sang des HSH ont été modifiées tout juste en avril, suite à un vote. Pensez-vous que l'EFS devrait revoir son choix en vue de cette épidémie débutante ?
Dr Éric D'Ortenzio
Ce qui est sûr, c'est que l'EFS doit se pencher sur la question. Comme pour toute émergence infectieuse, il est important d'évaluer le risque de transmission du virus Monkeypox par la transfusion sanguine. Suite à cette analyse de risque, des recommandations pourraient être formulées. Kilya CM
Kylia CM
Est-ce que ces maladies seront de plus en plus fréquentes ? Doit-on selon vous prévoir ou optimiser un système de détection et un service spécialisé dans les hôpitaux ?
Dr Éric D'Ortenzio
Il est clair que la fréquence des maladies zoonotiques est en augmentation depuis les années 2000. Nous pensons qu'il va y avoir de plus en plus de phénomènes de ce type dans le futur. Cela est notamment dû à plusieurs paramètres tels que la déforestation qui favorise le contact entre l'animal et l'homme, parfois avec des nouvelles espèces animales, également avec le réchauffement climatique qui entraînera des migrations de population vers des zones où les rencontres avec l'animal pourraient être favorisées. Il y a aussi les conditions d'élevage d'animaux qui sont modifiées et intensifiées qui favorisent le contact et la transmission de pathogènes.
Il faut qu'au niveau international et notamment sous l'égide de l'OMS, la surveillance et la détection des phénomènes zoonotiques soient une priorité pour les années à venir. Tous les pays doivent participer à cette surveillance et à la diffusion de l'information. Plus le phénomène sera détecté précocement, plus la riposte sera efficace.
Il existe déjà en France des services de maladies infectieuses pour la prise en charge des malades atteints de zoonoses.
Journaliste QDM (SL)
AnnyCL
La fonte des glaciers favorise-t-elle et dans quelle proportion l'apparition de ces zoonoses ?
Dr Éric D'Ortenzio
Ce n'est pas la raison principale de l'apparition des zoonoses. Même si on a eu quelques événements hypothétiques, la majorité des zoonoses surviennent dans des zones tropicales considérées comme des hotspots pour ces maladies.
La Fraise
On a vu avec le Covid que la vaccination ne permettait pas d'arrêter l'épidémie ni d'empêcher les complications et les décès. Pensez-vous que les vaccins restent une solution à privilégier en cas d'épidémie ? Quelles autres mesures préconisez-vous ?
Dr Éric D'Ortenzio
La vaccination contre les maladies infectieuses a permis une large réduction du poids de ces maladies depuis que la vaccination existe. Il y a notamment eu l'éradication de la variole et la quasi-élimination de la poliomyélite au niveau mondial. La vaccination, quand elle existe, est à privilégier pour lutter contre une épidémie. Mais d'autres mesures peuvent s'avérer également efficace comme le lavage des mains ou le port du masque suivant les pathogènes responsables de l'épidémie.
Hippo
Jusque-là, tout le monde s'est planté sur les scénarios d'évolution de la pandémie de Covid ? Comment voyez-vous la suite ?
Dr Éric D'Ortenzio
Nous allons assister probablement à une circulation du virus sous la forme épidémio-endémique. Et nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus.
Le caractère saisonnier hivernal ne caractérise probablement pas ce type de virus comme on peut l'observer pour un virus de la grippe. La circulation et la succession de différents variants compliquent les prédictions d'évolution de l'épidémie.
Doc du 16
A l'échelle d'un cabinet de médecine générale, est-il possible de se préparer contre les zoonoses et de les prévenir ? Comment ?
Dr Éric D'Ortenzio
Ce qui est important au niveau d'une consultation de médecine générale, c'est d'être sensibilisé à ce type de pathologies, de s'informer et de prendre des avis spécialisés devant des tableaux atypiques d'infection. En ce qui concerne la prévention des zoonoses à l'échelle du cabinet, il est important de connaître la présence d'animaux de compagnie de vos patients ou le type d'activité professionnelle. Par exemple, une maladie comme la leptospirose peut être prévenue par la vaccination, dans certains cas comme les égouttiers.
CV
Futurs vaccins anti-Covid semblables à celui contre la grippe, c'est-à-dire dirigé contre plusieurs souches virale avec un rappel annuel ?
Dr Éric D'Ortenzio
Certains laboratoires pharmaceutiques ont annoncé effectivement des vaccins panvirus qui couvrent plusieurs variants du Sars-CoV-2, cela permettra une meilleure protection individuelle et populationnelle contre le Covid. En ce qui concerne la fréquence des rappels, c'est encore à l'étude.
-- A.M
L’émergence des zoonoses doit-elle faire craindre une augmentation de la transmission par les animaux de compagnie ?
-- Philémon Siclone
Quels sont les animaux, hôtes potentiels de futurs virus humains, dont il faut se méfier en France ?
Dr Éric D'Ortenzio
Il existe déjà des risques de transmission de pathogènes par les animaux de compagnie, même si ce ne sont pas les animaux les plus à risque. Les chiens en France sont vaccinés contre la rage permettant une prévention de la transmission.
Dans le sud de la France, il y a par exemple les virus West Nile et Usutu qui circulent chez les chevaux et les oiseaux respectivement. Des cas de transmission à l'homme ont été décrits. Parfois avec des cas groupés notamment pour le virus West Nile. Il est important de bien surveiller ces virus dans la faune pour mieux prévenir la transmission chez l'homme.
RG
Les décès dus à la variole du singe sont extrêmement rares, voire inexistants. Pourquoi faudrait-il s'inquiéter d'une maladie qui ne semble donc pas si grave que ça ?
Merci pour votre réponse
Dr Éric D'Ortenzio
Il est important de continuer à surveiller cette maladie qui donne des lésions cutanées parfois douloureuses et dysesthétiques. Il est également important de prendre en charge les patients atteints de cette maladie et de prévenir le risque de contamination à d'autres personnes. Nous sommes devant un phénomène épidémique inhabituel sur notre territoire et nous devons améliorer la connaissance sur cette maladie.
Si vous voulez améliorer vos connaissances, vous pouvez consulter la
veille scientifique de l'ANRS-MIE, disponible sur Internet. Elle est régulièrement mise à jour.
Il n'y a pas eu de décès décrits en Europe lors de cette épidémie, mais en zones d'endémie africaine, des cas compliqués ont été décrits, notamment par retard de prise en charge ou par surinfection bactérienne, en particulier chez les enfants.
Journaliste QDM (PT)
J'ai entendu que la variole du singe ne se transmettait pratiquement que sexuellement, ou lors de rapports très rapprochés. Est-ce que cela veut dire que sa propagation restera modérée par rapport au Covid ?
Dr Éric D'Ortenzio
Effectivement, le type de transmission actuel principalement décrit est le contact rapproché entre les personnes. Et on s'attend donc à une transmission moindre qu'avec un virus à transmission aérienne comme le Sars-CoV-2.
La transmission par gouttelette et/ou aérienne doit faire l'objet de recherche pour mieux comprendre ce type de transmission.
Cynthia B
À qui recommandez-vous la vaccination contre la variole ? Doit-on craindre cette maladie si on n'a pas de relations sexuelles avec des partenaires multiples ?
Dr Éric D'Ortenzio
La vaccination contre la variole du singe doit être recommandée aux cas contact de personnes infectées et aux personnes considérées à risque (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, travailleurs et travailleuses du sexe...).
Avoir des relations sexuelles avec des partenaires multiples augmente le risque de contamination mais on ne peut pas exclure ce risque qui existe même en cas de partenaire unique.
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. La dernière question...
-- Mimosa
De tout temps, les menaces sanitaires ont évolué. Et on a fini par trouver des moyens préventifs ou curatifs, souvent efficaces. Pourquoi l'humanité (et la médecine !) ne s'adapterait-elle pas aussi aux maladies émergentes du XXIe siècle ?
Dr Éric D'Ortenzio
En tout cas, face à chaque nouvelle émergence ou réémergence, la médecine et la recherche s'attellent à développer des tests diagnostiques, des traitements et des vaccins pour mieux contrôler la maladie. Nous avons vu avec la pandémie de Covid que le développement de vaccins peut être considérablement accéléré si on y met les moyens.
Une agence comme l'
ANRS-MIE a justement pour mission de coordonner et d'organiser la recherche sur les maladies infectieuses émergentes.
Journaliste QDM (SL)
Merci, Dr D’Ortenzio, d’avoir participé à ce Live chat avec les lecteurs du « Quotidien ». À vous le mot de la fin !
Dr Éric D'Ortenzio
Merci à tous les internautes pour vos questions très pertinentes et j'espère avoir répondu à la plupart de vos interrogations.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation. Rendez-vous à la rentrée pour un nouveau Live chat.
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