En dépit de la volonté affichée de l'exécutif de déminer le terrain et de se laisser du temps avant les arbitrages, le projet de réforme des retraites continue de provoquer une onde de choc chez les libéraux en général et les libéraux de santé en particulier.
Le contraste est saisissant. Ce jeudi, au moment où le Premier ministre promettait, devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), « plus d’écoute et plus de dialogue avec les corps intermédiaires » et renvoyait le vote de la réforme d'ici à l'été prochain, le collectif SOS Retraite, fer de lance de la fronde des régimes autonomes, exprimait longuement sa colère devant la presse et appelait à la mobilisation de l'« ensemble des professions libérales », lundi 16 septembre, à Paris.
Premier round
Le cortège parisien partira lundi prochain à 14 heures de la place de l'Opéra à l'appel d'une dizaine d'organisations dont les avocats (Conseil national des barreaux), des syndicats de médecins (FMF, Le BLOC, UFML-Syndicat), des infirmières (Convergence, UNIDEL), des kinés (Alizé), orthophonistes et podologues mais aussi des pilotes de ligne (SNPL) ou encore des hôtesses et stewards… Le Syndicat national des ORL (SNORL) appelle lui aussi les praticiens libéraux à manifester ce jour-là. Un mouvement certes hétéroclite mais qui se veut lanceur d'alerte pour quelque « 700 000 professionnels ».
Si son ampleur est difficile à prévoir, la mobilisation de lundi sera le « premier round », ont martelé les leaders de ces organisations, déterminées à refuser l'« absorption » des régimes autonomes dans le futur système universel par points. La mobilisation des avocats sera « extrêmement forte », affirme déjà Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB, qui a évoqué « des trains entiers qui monteront vers Paris ».
Sur le fond, les différents intervenants du collectif SOS Retraite dénoncent la hausse des cotisations qui condamnera des professions à la « mort économique », la disparition des caisses autonomes « qui n'ont jamais rien coûté au contribuable », la « spoliation » des réserves constituées depuis des décennies par les libéraux ou encore la remise en cause des avantages conventionnels (en échange d'un blocage des tarifs). « La réforme Macron, c'est davantage de cotisations, davantage de ponctions et moins de pensions. Un cabinet sur deux fermera ses portes », lance carrément Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière.
Flou total sur la valeur du point, perte des solidarités professionnelles garanties par les caisses autonomes, menaces sur l'ASV… « Le danger est immense et nous l'avons perçu très tôt, alerte le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML Syndicat. On ne peut pas déstabiliser davantage une profession médicale qui vit déjà un effondrement. Le risque, c'est moins d'installations, davantage de déserts médicaux. » « On ne va pas partir à la retraite à 70 ou 75 ans », ajoute le généraliste de Fronton, partisan, lui, d'un « arrêt total et global » d'activité si le gouvernement reste sourd.
Hold-up
« On oublie trop souvent la grande souffrance des soignants, c'est pourquoi nous irons jusqu'au bout », certifie le Dr Philippe Cuq, président de l'Union des chirurgiens de France (UCDF), coprésident du BLOC, évoquant lui aussi des « arrêts d'activité même si c'est dur de mobiliser les professionnels de santé et encore plus les chirurgiens ».
La grogne médicale est alimentée par le transfert aux URSSAF du recouvrement des cotisations de retraite des praticiens, la mauvaise nouvelle de l'été. « Les URSSAF, c'est la pire des administrations, nous n'avons jamais d'interlocuteurs ! On ne veut pas de ce hold-up », s'étrangle le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF. Le généraliste de Clamart peste contre la marginalisation des syndicats dans la construction de toute cette réforme. « Nous n'avons eu aucune projection fiable sur l'impact sur nos métiers », regrette-t-il.
Vers une intersyndicale médicale ?
Signe que l'heure est grave : indépendamment de l'initiative du collectif SOS Retraite, les cinq syndicats de médecins libéraux représentatifs (CSMF, MG France, SML, FMF et Le BLOC) ont convenu de défendre d'une seule voix plusieurs principes cruciaux.
Ils concernent les droits acquis « à l'euro près », le respect du contrat conventionnel (ASV), la place de la profession dans la gouvernance du futur régime universel, les missions sociales de la CARMF, la sauvegarde des réserves ou le rapport cotisations/prestations qui doit « maintenir le niveau de retraite actuel pour les générations à venir ». De son côté, le Dr Patrick Gasser, patron des Spé-CSMF, a avancé l'idée d'une plateforme commune de revendications de l'ensemble des médecins libéraux et de la CARMF. Pour le gastro-entérologue nantais, « l'union de nos syndicats est indispensable pour sauver nos retraites ».
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