C'est une réforme déjà ancienne mais qui divise de plus en plus les médecins concernés : 45 % des ophtalmologistes estiment que le renouvellement direct des lunettes chez l’opticien (possible depuis 2007) est une « mauvaise mesure » (inutile, inefficace ou risquée), selon une enquête du Syndicat national des ophtalmologistes Français (Snof) menée entre mai et juillet 2022 auprès de 525 ophtalmos et 1 170 patients.
Il s'agit d'un très net recul de la perception positive car 81 % des ophtalmologistes étaient favorables à cette délégation de tâches en 2019, ce qui illustre leur défiance croissante envers ce dispositif autorisant les opticiens-lunetiers à renouveler et adapter les verres correcteurs à partir d’une ordonnance médicale valide (sauf opposition du médecin). Dans ce contexte de défiance, 25 % des médecins répondants souhaiteraient que le volume de renouvellement chez l’opticien diminue (contre 14 % en 2019).
Plusieurs facteurs nourrissent ce scepticisme. En premier lieu, 60 % des ophtalmologistes estiment que les opticiens sont « insuffisamment formés » pour effectuer des renouvellements. Le Snof en déduit qu’il faut accélérer la réforme de la formation des opticiens. Quant à la possibilité pour un orthoptiste de renouveler (et adapter) les ordonnances de lunettes et de lentilles de contact (mesure introduite en 2020), cette mesure est jugée « mauvaise » pour deux tiers des ophtalmologistes. Là encore, 61 % d’entre eux estiment que les orthoptistes sont « insuffisamment formés ».
Pas assez de retours
L’enquête met surtout en lumière le manque de transmission d'informations que subissent les médecins (à traves le faible taux de retours des opticiens vers les ophtalmologistes). 82 % d’entre eux déclarent avoir reçu moins de 11 messages dans les trois derniers mois d’un opticien les informant d’une adaptation optique. Un retour d’expérience corroboré par les patients, dont la moitié seulement indique que l’opticien a bien reporté l’information du renouvellement sur l’ordonnance, alors même qu’elle est obligatoire.
Or, c’est ce manque de communication qui cristallise l'agacement des spécialistes. « Les opticiens ont peut-être trop tendance à croire qu’on leur transfère complètement cette activité, sans avoir besoin de faire de coopération ou de retours vers l’ophtalmologie », suggère le Dr Thierry Bour, président du Snof.
Définir des règles strictes
Pour autant, le syndicat reste persuadé que la délégation de tâches, associée au développement du travail aidé dans les cabinets, « participe à fluidifier et à augmenter la délivrance initiale et le renouvellement des équipements optiques ». À condition qu’elle soit accompagnée « d’un cadre strict rendant effectif la transmission d’informations et favorisant la formation des opticiens et orthoptistes », martèle le Snof.
Pour restaurer cette confiance, le président du Snof invite le gouvernement à définir des règles professionnelles pour les opticiens et les orthoptistes, « ainsi que pour l’entourage technico-commercial ». Autre requête : lancer la réingénierie de la formation de l’opticien « en renforçant l’enseignement de la réfraction et en introduisant la notion de parcours de soins optique ».
Pour faciliter la transmission des données des opticiens vers les ophtalmos, il serait aussi nécessaire d’accélérer la numérisation du parcours de santé (messagerie sécurisée, e-prescription, DMP, espace numérique personnalisé). « Ce n’est qu’à ces conditions, avance le Dr Thierry Bour, que la délégation du renouvellement des équipements optiques pourra continuer à être crédible auprès des patients ».
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