Après le déficit historique de la Sécu de 38,7 milliards d'euros en 2020, puis de 34,6 milliards en 2021, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2022, adopté ce jeudi au Conseil des ministres, prévoit 21,6 milliards dans le rouge.
L'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam) pour l'an prochain est ainsi fixé à 236,3 milliards d'euros dont 102,1 milliards d'euros pour la ville et 95,3 milliards pour les établissements de santé. En neutralisant les dépenses exceptionnelles liées au Covid, cela correspond à une hausse de 3,8 % qui traduit notamment les revalorisations du Ségur. Revue de détail des dispositions intéressant la profession.
Contraception pour les jeunes femmes
Aujourd'hui, l’accès gratuit et confidentiel à la contraception, assorti d’un tiers payant
systématique, est garanti pour les assurées mineures. Face à la hausse du non-recours à la contraception pour les femmes de 20 ans à 25 ans, le PLFSS prévoit une extension dès 2022 de la prise en charge à 100 % et sans avance de frais du coût de la contraception et des actes qui y sont liés (une consultation par an avec un médecin ou une sage-femme et les examens biologiques potentiels). Trois millions de femmes entre 18 et 25 ans pourront en bénéficier.
Filière visuelle : la disposition qui fâche les ophtalmos
Le PLFSS autorise l'accès direct aux orthoptistes pour des bilans visuels simples et prescription des lunettes et lentilles de contact pour les corrections faibles, sans passer par les ophtalmologistes. Ils pourront réaliser le dépistage de l'amblyopie du nourrisson et des troubles de la réfraction chez les jeunes enfants. Cette nouvelle délégation de tâches permettrait de réduire les délais d'attente et de dégager du temps médical aux ophtalmos, motive le gouvernement. Pas sûr que cet argument plaise aux représentants des médecins qui ont réclamé un moratoire sur les délégations de tâches.
Kinés : rendre effectif le renouvellement des prescriptions
La loi Touraine de 2016 avait ouvert la possibilité aux kinés d'adapter, sauf indication contraire du médecin, et dans le cadre d'un renouvellement, les prescriptions initiales datant de moins d'un an. Mais il manquait encore un ancrage dans la convention de la profession avec l'Assurance-maladie. C'est ce qu'invite à faire le PLFSS.
Généralisation d'expérimentations « article 51»
Côté santé publique, ce budget généralise deux expérimentations menées au titre de l'article 51 de la loi Sécu 2018 – qui avait ouvert un cadre pour des projets dérogatoires au droit commun. La première concerne la prévention de l'obésité infantile « Mission : Retrouve Ton Cap » (MRTC) dans le Nord et Pas-de-Calais. Ce parcours de soins pluridisciplinaire pour les enfants de 3 à 12 ans est destiné à éviter la constitution d'une obésité persistante à l'âge adulte et la survenue de complications métaboliques. Il est également prévu de généraliser le dépistage du VIH, en laboratoire de ville, sans ordonnance ni avance de frais suite à l'expérimentation « Au labo, sans ordo » qui avait été mise en place à Paris et dans les Alpes-Maritimes.
Les ex-« salles de shoot » confortées
Elles changent de nom mais sont prolongées malgré les polémiques locales. Les salles de consommation à moindre risque, pour les usagers de drogues, deviennent des « haltes soins addictions ». Il est proposé de prolonger au-delà d'octobre 2022, pour une durée de trois ans, l'expérimentation de ce dispositif « répondant aux intérêts de santé publique et à une demande sociétale ».
Extension de la complémentaire santé solidaire
On recense seulement 7,31 millions de bénéficiaires sur 12 millions de personnes potentiellement éligibles. Pour lutter contre ce non-recours, le PLFSS prévoit que la complémentaire santé solidaire (qui a remplacé la CMU-C) soit désormais attribuée automatiquement aux bénéficiaires du RSA, sauf option contraire de leur part.
Autonomie : soutien aux Ehpad et renforcement du maintien à domicile
À défaut de grande loi sur l'autonomie, le gouvernement a injecté plusieurs mesures pour favoriser la modernisation des Ehpad et le maintien à domicile. Pour consolider le financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD), un tarif plancher national de 22 euros par heure d’intervention sera instauré dès 2022. Le coût induit par cette mesure pour les départements fera l'objet d'une compensation par la branche autonomie de la Sécu.
Dans les Ehpad, le PLFSS prévoit un accroissement du nombre de personnels médicaux et soignants dès 2022, au travers de plusieurs mesures dont le renforcement du temps de médecins coordinateurs de façon à garantir a minima deux jours de présence dans tous les établissements et la généralisation des astreintes infirmières de nuit.
Urgences des cliniques : précision pour la rémunération des praticiens
Le financement des urgences hospitalières a été réformé en 2020 et repose sur trois piliers : une dotation populationnelle, une dotation complémentaire qualité et des recettes liées à l’activité. L'article 28 du PLFSS apporte une précision pour éviter le « risque de confusion relatif aux honoraires des praticiens libéraux » exerçant en clinique. En effet, leur rémunération liée aux passages non suivis d’hospitalisation dans une structure des urgences repose sur des forfaits et suppléments qui se substituent à leurs honoraires facturés jusqu’alors sans qu’un reversement par la clinique soit nécessaire. La loi va graver dans le marbre que ces rémunérations constituent leurs honoraires et « bien qu’ils soient fixés par voie réglementaire sont éligibles à une prise en charge des cotisations par l’Assurance-maladie dans le cadre de la convention médicale ». En outre, le forfait de 18 euros réclamé aux patients, aux urgences publiques ou privées, en l'absence d'hospitalisation ultérieure, qui devait initialement entrer en vigueur le 1er septembre, sera effectif à partir du 1er janvier 2022 (article 28).
Hôpitaux des armées et hôtels hospitaliers
Les hôpitaux des armées pourront être autorisés à réaliser des greffes exceptionnelles d'organes et de tissus. De même, ils pourront être autorisés à pratiquer certains actes et utiliser des dispositifs ou médicaments innovants, ce qui était impossible du fait de leur statut juridique différent des établissements de santé. Ils pourront aussi mettre en place des hôtels hospitaliers.
Isolement et contention : l'intervention du juge
Retoquée par le Conseil constitutionnel en juin dernier, une mesure de la précédente LFSS est reprise sur l'isolement et la contention. Le texte ajoute l'instauration du contrôle automatique du juge des libertés et de la détention en cas de maintien des mesures au-delà d'une certaine durée. Il est prévu que le médecin puisse renouveler au-delà de 48 heures pour l'isolement et 24 heures pour la contention, à titre exceptionnel. Mais dans ce cas, le directeur de l'établissement doit informer le juge. Cette mesure risque cependant à nouveau d'être frappée d'inconstitutionnalité car elle n'est pas d'ordre budgétaire.
Biosimilaires : les pharmaciens pourront substituer
« Le pharmacien peut délivrer, par substitution au médicament biologique prescrit, un médicament biologique similaire » prévoit le PLFSS. Une mesure controversée déjà introduite dans la loi Sécu… en 2014, puis supprimée et finalement réintroduite. 40 % moins cher que les médicaments biologiques de référence, la délivrance de biosimilaires est un levier d’économie pour l’Assurance-maladie. La substitution d’un médicament biologique, directement au comptoir de la pharmacie, pourra permettre d’augmenter le taux de pénétration. Mais sous conditions, le biosimilaire ne pouvant être délivré en cas de mention « non substituable ». Le projet de loi précise que le pharmacien aura l’obligation d’informer le prescripteur de la substitution et d’inscrire le nom du biosimilaire délivré sur l’ordonnance.
Accès direct aux médicaments dès l’avis de la HAS
Après la réforme de l’accès précoce aux médicaments innovants en juillet dernier, le PLFSS crée « l’accès direct » pour faciliter l’accès aux traitements de maladies « rares, graves et invalidantes ». Objectif : rendre disponible des traitements, dès l’avis de la commission de transparence de la HAS, avant même les négociations de prix avec le CEPS, qui peut prendre 180 jours.
Les traitements concernés sont précisément ceux qui ne sont pas éligibles à l’accès précoce : parce qu’ils ne sont pas présumés innovants par exemple, ou simplement car des alternatives thérapeutiques existent. Ils devront avoir obtenu auprès de la HAS un service médical rendu (SMR) « majeur » ou « important ». Les prescripteurs devront apposer sur l’ordonnance la mention « prescription au titre du dispositif d’accès direct » et informer le patient des conditions de prise en charge. Pour l’heure, le PLFSS fait simplement entrer l’accès direct « à titre expérimental ». D’ici à deux ans, un rapport sera adressé au Parlement pour un premier bilan.
La télésurveillance généralisée
Suivre à distance une glycémie, les effets indésirables d’une chimiothérapie ou un patient implanté cardiaque… Depuis 2014, la télésurveillance était expérimentée dans le cadre du programme ETAPES et remboursée pour cinq pathologies seulement. L'exécutif change de braquet. À partir du 1er janvier, le suivi à distance des malades chroniques entrera dans le droit commun. Qu’importe la pathologie, tous les praticiens qui suivent à distance un malade, via un dispositif médical connecté, seront rémunérés par l’Assurance maladie. Si le montant reste à définir, le PLFSS précise que la rémunération s’effectuera « sur une base forfaitaire périodique, le cas échéant modulable en fonction des caractéristiques de la prise en charge ». Un forfait qui tiendra compte, entre autres, de la fréquence du suivi réalisé ou de sa complexité. Quelque 22 millions d’euros seront alloués en 2022 à la rémunération de la télésurveillance, 44 millions en 2023.
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