Simon L. est un jeune médecin généraliste de 30 ans, remplaçant dans le Finistère. Le mois dernier, il a été condamné à une amende de 500 euros par le tribunal de Quimper, notamment pour « dissimulation de visage ». Il avait été interpellé par les gendarmes dans la commune du Faou, où il manifestait, en mars 2019, avec une centaine d'autres Gilets jaunes.
Il raconte au « Quotidien » son engagement dans le mouvement et dénonce « l'intimidation permanente » et les violences policières. Il appelle également le corps médical à s'engager et à sortir dans la rue.
LE QUOTIDIEN : Comment a débuté votre engagement auprès des Gilets jaunes ?
Dr SIMON L. : Cela a commencé quand je suis allé discuter avec eux sur un rond-point. C'était plutôt le début du mouvement. Ils étaient là depuis quelques jours et avaient l'air déterminés. Je me suis rendu compte que ce sont des gens au RSA, en emploi précaire qui font 25 heures par semaine et sont payés 700 euros par mois ; ou qui sont face à une non-reconnaissance de leur handicap, ont subi un plan social dans leur entreprise. En fait, ce sont des gens que l'on peut être amené à rencontrer dans les cabinets médicaux, mais avec qui nous n'avons pas forcément le temps de discuter.
Je me suis engagé avec eux tout simplement car je ne peux pas d'un côté les soigner, m'interloquer que la personne n'ait pas pu prendre un médicament pour des raisons financières et de l'autre côté faire l'autruche sur leurs conditions de vie. Sur les ronds-points, les gens partagent à la fois leur joie et leur détresse. C'était ma façon de les aider que de leur apporter mon soutien.
Au fur et à mesure des manifestations, de nombreuses personnes ont dénoncé des violences de la part des forces de l'ordre. Est-ce également votre cas ?
Oui. À Brest, au début, c'était relativement calme et il y avait peu de présence policière. Mais sur de plus grosses manifestations, les dispositifs policiers sont disproportionnés et ont fait appel à des gens qui n'ont pas de formation du maintien de l'ordre, comme la brigade anti-criminalité (BAC). Sur Paris, où j'ai été quelques fois, c'est aberrant. Ce n'est plus du maintien de l'ordre mais de la création du désordre. La manifestation se passe bien, mais tout d'un coup – sur des directives qui viennent d'en haut – le but est de faire peur.
Je l'ai vécu en avril dernier, lorsque j'ai fait 69 heures de garde à vue à Paris. J'étais dans la manifestation en tant que « street medic » [volontaires qui fournissent les soins de premiers secours lors de manifestations, NDLR], avec mon matériel et habillé en tant que tel. J'ai été arrêté place de la République. Il y avait des charges de policiers sur des personnes au hasard, dont j'ai fait partie. J'ai ensuite été interpellé et dans le fourgon, j'ai pris un coup de poing dans le visage alors que j'avais les mains attachées avec des « serflex » dans le dos. Lors de ma garde à vue, un jeune de 21 ans était à côté de moi, ses bras étaient bleus d'hématomes, et il m'a dit qu'un policier lui avait sauté à pieds joints sur le ventre…
C'est une politique de la peur complète, c'est très grave. Mais la deuxième roue du carrosse c'est la justice, qui pense qu'il n'y a pas de violences et qui est dans un déni de classe. Or, les violences policières sont présentes, et il est temps que les gens s'en rendent compte, et notamment le milieu médical. Même s'il n'a pas l'habitude d'aller dans la rue, il doit sortir de son cocon.
Allez-vous poursuivre votre engagement auprès des Gilets jaunes ?
Oui, je continuerai à manifester pour faire valoir mes droits, et aussi pour porter secours aux gens. Le mouvement est désormais moins important en nombre, car la répression policière fait son effet. Les Gilets jaunes ont aussi créé des liens avec d'autres mouvements, comme la réforme des retraites, les zones à défendre, l'écologie, qui sont aussi des buts légitimes.
Je me suis moi-même mobilisé sur la réforme des retraites. La demande des Gilets jaunes à la base, c'est plus de justice sociale, donc on est en plein dedans. Les conditions de travail se dégradent dans beaucoup de secteurs, notamment dans la santé, que ce soit dans le public ou en libéral. Cela touche aussi la médecine de ville. Cette demande de justice sociale est légitime, et le secteur médical doit s'en rendre compte et créer les liens avec les différents mouvements sociaux en cours. Par exemple, la grève aux urgences doit s'unir avec d'autres mouvements, sinon elle est destinée à mourir.
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