Rassemblant au moins deux médecins et un auxiliaire médical, les sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires sont sur le point de voir le jour. Nicolas Loubry, responsable du service « sinistres et protection juridique » du Sou médical, à la MACSF, démonte pour « le Quotidien » les ressorts de ces SISA.
• Une SISA, qu’est-ce que c’est ?
Le point de vue de Nicolas Loubry :
La loi du 10 août 2011 vient de créer ces sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires ou SISA. Cette création s’inscrit dans le droit fil des objectifs de la loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009, qui avait déjà mis en place diverses mesures dans le but d’améliorer l’accès à des soins de qualité en organisant l’offre de soins en fonction des niveaux de recours et des besoins de santé. Dans la pratique, cette société permet une mise en commun de moyens pour faciliter l’activité en commun, mais en allant plus loin que les SCM [société civile de moyens] grâce auxquelles, depuis des années, les praticiens de santé peuvent partager des locaux une secrétaire, du matériel, etc. afin de réduire leurs coûts.
En effet, à la différence des SCM, les SISA prévoient la possibilité de prodiguer des soins en ambulatoire et d’avoir une activité de coordination, qui sera financée par les ARS [Agences régionales de santé]. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la SISA que de percevoir des financements publics qui puissent être répartis entre les membres de la société et de facturer certains actes spécifiques à l’assurance-maladie, fonction de l’objet même de la SISA. Il s’agit donc bel et bien de permettre et d’encourager la création de maisons médicales, associant des médecins et des paramédicaux, tout en préservant l’exercice libéral de ses associés. Reste que les contours de cette activité de coordination ne sont pas encore précisés.
• Quels avantages, quelles contraintes ?
Le point de vue de Nicolas Loubry :
La tendance actuelle est au regroupement, l’exercice isolé des généralistes, en particulier dans les zones rurales, étant de plus en plus exceptionnel. Souvent, les généralistes souhaitaient se regrouper, notamment pour faciliter les remplacements, organiser des gardes en commun, mais également proposer une offre de soins plus large. Or, avec les SISA, des kinésithérapeutes, dentistes, pharmaciens pourront s’associer avec des médecins, chacun demeurant bien entendu libre dans ses prestations.
À partir du moment où l’on parle de société, il est évident que le généraliste doit anticiper les contraintes liées à l’association elle-même et à la vie de groupe qu’elle engendre. On a souvent coutume de comparer l’entrée dans une société à un mariage. Viendront peut-être en outre se surajouter des contraintes supplémentaires dans les arrêtés à paraître ou de la part des ARS. Mais, en tout état de cause, les associés doivent surtout anticiper les conflits potentiels en rédigeant avec soin les statuts, en décidant de la répartition des charges et en discutant en amont des problématiques de concurrence potentielle ou de détournement de clientèle.
• Créer une SISA en pratique.
Le point de vue de Nicolas Loubry :
Il faut déjà savoir que seules des personnes physiques, membres des professions médicales, les auxiliaires médicaux et les pharmaciens, y compris s’ils font déjà partie d’une SCP ou d’une SEL, peuvent devenir associés d’une SISA. L’adhésion des personnes morales est exclue. Autre règle à respecter : la SISA doit comporter, parmi ses associés, au moins deux médecins et un auxiliaire médical, à peine de nullité.
Pour le reste, la création d’une SISA est juridiquement proche de celle d’une SCM par exemple. Les statuts de la SISA, société civile régie par le code civil, doivent être établis par écrit, sachant que l’on attend toujours le décret en conseil d’État qui en fixera les mentions obligatoires. Ces statuts (et leurs avenants) doivent être transmis, un mois au moins avant leur enregistrement, aux ordres professionnels dont relèvent les membres de la société, ainsi qu’à l’ARS du siège social, a priori.
• Quel partage de la responsabilité ?
Le point de vue de Nicolas Loubry :
Chaque associé répond des actes qu’il accomplit, ce qui suppose qu’il soit donc assuré pour son activité. Il n’existe pas de responsabilité solidaire au niveau de la société, si ce n’est dans le cas où un patient glisserait dans la salle d’attente par exemple, et mettrait en cause la société. Une erreur de diagnostic engage uniquement la responsabilité individuelle du praticien. En revanche, dans l’activité de coordination, on pourrait hypothétiquement concevoir l’existence d’une responsabilité partagée sur une décision collégiale de prise en charge par exemple.
Le point important à retenir sur les SISA reste avant tout que cette structure soulève la question des contraintes déontologiques classiques en termes de compérages : le patient doit rester libre de consulter le praticien qu’il souhaite, de choisir son kinésithérapeute ou son pharmacien, même si, dans la pratique, il est évident que dans les zones où l’offre médicale est faible, la patientèle n’a finalement que peu de choix. Quoi qu’il en soit, même s’il faut s’attendre à ce que conseil de l’Ordre soit vigilant, le fait même d’appartenir à une SISA n’est pas assimilable à du compérage.
• Rémunération, vie quotidienne : comment ça marche ?
Le point de vue de Nicolas Loubry :
Chaque associé perçoit directement ses honoraires pour son activité personnelle. Néanmoins, l’activité exercée en commun peut faire l’objet d’un partage d’honoraires, qu’il s’agisse d’un arrangement entre deux généralistes – même si dans la pratique, ce type d’organisation est rare chez les généralistes et davantage observé chez les radiologues ou anesthésistes – ou de la rémunération de la réunion hebdomadaire des membres de la SISA pour discuter de manière pluridisciplinaire du cas de certains patients.
L’important pour que la SISA perdure est d’avoir au départ un objectif commun sur l’investissement à venir, et de prévoir la répartition des charges dans les statuts. Par exemple, si la SISA est locataire des locaux, la répartition en surface voire en temps d’occupation en cas de partage de bureau, doit être définie avec rigueur car elle conditionnera les charges locatives mais aussi en électricité ou chauffage de chacun. Idem en ce qui concerne le personnel, qu’il s’agisse de la secrétaire ou de la femme de ménage. Bien entendu, un des associés peut avoir sa propre secrétaire, mais l’essence même de la SISA reste de partager les ressources et les coûts.
• Et si un associé fait défaut ?
Le point de vue de Nicolas Loubry :
Chaque associé peut exercer un droit de retrait, et la société n’est pas dissoute pour autant, ni même par le décès d’un associé, ni en cas d’incapacité ou d’interdiction définitive par un associé d’exercer sa profession… sous réserve que la règle du « deux médecins et un auxiliaire médical au minimum » reste respectée. Le médecin qui se retire n’est d’ailleurs pas tenu de trouver un remplaçant.
Si le médecin qui se retire envisage une cession de parts, ses associés peuvent refuser le remplaçant proposé dans certaines limites : généralement au-delà de deux refus, il peut être prévu que les associés soient tenus de racheter les parts de celui qui souhaite quitter la SISA. Quant au prix de ses parts, il doit tenir compte de la valeur nominale (prix de la part à la création de la société), réévaluée chaque année des investissements faits. Cette réévaluation fait partie des points qui doivent être abordés au moins une fois par an par les associés, lors de l’annuelle assemblée générale.
• Une SISA aujourd’hui, c’est possible ?
Le point de vue de Nicolas Loubry :
Techniquement, on pourrait répondre par l’affirmative sauf que nous sommes toujours dans l’attente du décret relatif à la coordination thérapeutique qui doit en définir le périmètre et les financements, ainsi que le décret précisant les mentions obligatoires à faire figurer dans les statuts. Mais cela ne saurait tarder…
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