A-t-il délivré des milliers d’ordonnances de Subutex par humanisme ou par complaisance ? Un médecin mosellan accusé d’avoir alimenté un trafic de ce traitement substitutif à l’héroïne jouait hier, lundi 30 novembre, son avenir devant le tribunal de Sarreguemines (Moselle).
Au terme d’une longue journée d’audience, le parquet a requis à l’encontre du généraliste trois ans de prison dont deux avec sursis, 50 000 euros d’amende et l’interdiction d’exercer son métier. « En distribuant du Subutex à des patients qui n’en ont pas besoin, on alimente un réseau », a fait valoir la représentante du ministère public, Marion Freitag, qui a également requis 20 000 euros d’amende à l’encontre d’un pharmacien.
À leurs côtés comparaissaient deux hommes soupçonnés d’avoir revendu du Subutex à des toxicomanes : les forces de l’ordre ont découvert plus de 600 comprimés chez l’un d’eux. Le parquet a requis respectivement un an ferme et douze mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant 24 mois à leur encontre. Certains comprimés étaient revendus en Allemagne, où ce médicament est délivré dans des conditions plus strictes qu’en France.
« médecine go-fast »
Le médecin mis en cause, également maire de sa commune Hombourg-Haut (jusqu’en 2014), avait été mis en examen en octobre 2013 : l’enquête a établi qu’il avait prescrit de fin mars 2011 à avril 2013 près de 25 000 ordonnances de Subutex à quelque 285 patients. La CPAM de Moselle a provisoirement chiffré son préjudice à plus de 165 000 euros, selon son avocat, Me Nicolas Matuszac.
Alors qu’il travaillait à temps partiel du fait de ses activités d’élu, le médecin pouvait recevoir jusqu’à 80 patients par jour, s’est étonné le parquet, en relevant que certains d’entre eux n’étaient pas examinés lors d’une première prescription, n’étant même pas toxicomanes.
L’avocat de l’Ordre des médecins, Me Stanislas Louvelune a dénoncé une « médecine go-fast », et pointé l’exercice « un peu atypique » du métier.
« Je ne peux pas mener moi-même une enquête » sur chaque patient, a rétorqué le médecin généraliste qui a assuré n’avoir « jamais eu (...) une intention de frauder la Sécurité sociale ». « On veut que je serve d’exemple et que les autres médecins aient peur et ne prescrivent plus de Subutex », a-t-il déploré.
Un médecin humaniste confronté au problème de la toxicomanie
L’avocat du praticien a dénoncé l’apathie des pouvoirs publics face au problème. Ils « ont complètement abandonné le domaine de la toxicomanie. Les médecins sont lâchés dans la nature », a déclaré Me Dominique Rondu, soulignant l’existence de seulement deux centres dédiés à l’accueil des toxicomanes en Moselle. « Il n’y a rien de pire qu’une rupture de traitement (en Subutex, NDLR), qui peut entraîner un retour vers l’héroïne », a-t-il pointé.
Durant l’audience, un collègue généraliste a tracé le portrait de l’accusé en évoquant un médecin humaniste qui « a eu le courage d’aller s’installer dans une cité où le problème des produits stupéfiants était omniprésent ». Il avait parfois affaire à des « patients agressifs et indisciplinés », a relevé ce médecin. Également appelé à la barre par la défense, le sociologue Yvon Schléret a souligné que le Subutex ne donnait pas lieu à un véritable trafic au même titre que les drogues. « On est plus dans du mésusage, du dépannage ou du troc », a-t-il dit, estimant « difficile de faire fortune avec ce trafic-là ». Le tribunal a mis son jugement en délibéré au 11 janvier.
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre