Un recours massif au printemps, un recul assez net cet été mais une pratique qui reste à un niveau élevé : ainsi se dessine la courbe des téléconsultations remboursées, phénomène de ces derniers mois. En plein confinement, la téléconsultation représentait une consultation sur quatre. Inimaginable quelques mois auparavant... Qu'on en juge : seulement 40 000 téléconsultations facturées et remboursées par l'assurance-maladie en février 2020, 4,5 millions en avril (record absolu), encore 1,9 million en juin et 650 000 en août... Au-delà des chiffres, que pensent les médecins de ces consultations à distance, qui concernent aujourd'hui plus d'un praticien sur deux ?
Pragmatiques, nombre de médecins font la part des choses. Le Dr Hugo Devries, généraliste à Haulchin (Nord), constate depuis mai une baisse constante des demandes de rendez-vous en vidéo via la plateforme qu'il utilise, et n'en réalise plus qu'« une par jour en moyenne » depuis août. Il limite volontairement les cas de téléconsultation mais reconnaît leur utilité pour organiser la sortie d'un patient de l'hôpital « un vendredi soir à 17 h » ou pour des motifs dermatologiques. En revanche, il n'accepte plus les sollicitations de patients qu'il ne connaît pas, recours motivés trop souvent à son goût par des demandes arrêts de travail, ni pour une suspicion de Covid. Selon la CNAM, plus de 80 % des TC sont effectuées entre un médecin et un patient qui se connaissent.
Geek
Même si des praticiens de tous les âges ont basculé, il existe à l'évidence un effet de génération d'autant que certains médecins sont plus enclins à utiliser des moyens technologiques pour entrer dans le colloque singulier.
Le Dr Aimeric Lefetz, généraliste à Sinceny (Aisne), se qualifie de « geek ». Déjà équipé, il pratiquait la téléconsultation avant la crise sanitaire pour renouveler certains traitements de patients peu mobiles, assistés par des infirmiers libéraux. Pendant le confinement, il est passé aisément à la vitesse supérieure, via l'outil de téléconsultation Prédice, programme de e-santé proposé gratuitement et piloté par l'ARS des Hauts-de-France. Depuis, il bloque tous les jours une plage horaire, tôt le matin (de 7h à 8h30) pour les téléconsultations et en réalise « trois à six par jour ». « Je les réserve aux situations qui n'exigent pas de rendez-vous présentiel comme le renouvellement d'un médicament, l'adaptation d'un traitement après avoir reçu des résultats d'examen ou le suivi d'un patient en dépression. » Selon lui, les patients apprécient de pouvoir le consulter avant d'aller au travail ou en cours – mais d'autres refusent ces consultations à distance. Pour lui, la téléconsultation permet parfois d'opérer un « pré-tri » et de conseiller aux patients de venir en consultation réelle.
À l’inverse, le Dr Jean-François Burle, généraliste à Ugine (Savoie), ne s'est pas encore équipé en conséquence mais il a du moins réalisé des consultations par téléphone (encadré). Surtout du « dépannage », souligne-t-il, pour des patients connus et qui ont besoin d'une consultation rapide ou ne peuvent pas se déplacer.
Pas de médecine sans examen clinique
Le Dr Bijane Oroudji, généraliste à Saint-Ouen-l’Aumône (Val-d'Oise), ne fait presque plus de téléconsultations, à part pour donner des conseils à des patients Covid+ ou pour renouveler l'ordonnance de patients habituels en déplacement ou en vacances. « Je leur explique qu'il s'agit d'un dépannage », insiste-t-il. Hors nécessité absolue comme lors du confinement, il ne souhaite d'ailleurs pas réaliser davantage de consultations vidéo. « Je ne conçois pas la médecine sans examen clinique, explique-t-il. Pour moi, c'est le frein principal. Il y a trop de risque d'erreur. » Et le généraliste d'évoquer plusieurs cas de personnes ayant consulté à distance via des plateformes durant le confinement et qui « ont eu des diagnostics erronés et des prises en charge pas adaptées ».
Ce type d'expérience négative – et plus globalement le risque associé à l'absence d'examen clinique – constitue la raison pour laquelle le Dr Anne Baumann, généraliste à Baldersheim (Haut-Rhin), n'a pas l'intention de basculer vers les consultations en vidéo. « Cela ne me convient pas du tout. Je ne sais pas écouter un cœur ou des poumons à distance, déclare-t-elle. Je ne sais pas mettre un otoscope sur un téléphone... J'ai besoin de la clinique. Il n'y a rien de mieux que le présentiel. » Elle préfère demander aux patients de venir au cabinet. Ou alors, convient-elle, « il faut que le patient soit assisté lors d'une téléconsultation par un autre professionnel de santé ».
Les infirmiers dans la boucle ?
C'est aussi ce que préconise le Dr Oroudji. « La téléconsultation peut être intéressante avec une infirmière au domicile du patient et si elle a un stéthoscope connecté. L'approche clinique est alors beaucoup plus fine que lors d'une simple téléconsultation. Cela permettrait de voir des patients à domicile tout en restant au cabinet. » Dans la même veine, le Dr Lefetz imagine d'organiser plusieurs téléconsultations d'affilée au domicile de patients fragiles, par exemple pour le suivi de pansements, en coordination avec des infirmiers libéraux équipés d'instruments médicaux connectés.
Les consultations vidéo sont-elles en train de révolutionner l'exercice ? Comme la très grande majorité de ses confrères, le Dr Jean-François Burle nuance et recadre : « La médecine est d'abord une profession de contact ».
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