Samedi 27 août 2022, à Mulhouse, un médecin de SOS en visite est agressé par le mari d'une patiente avec un fusil à pompe factice. Mardi 18 avril 2023, deux personnes masquées violentent un généraliste de 64 ans à son cabinet à Terrasson, en Dordogne. La veille du salon Santexpo, lundi dernier, une infirmière est poignardée à mort au CHU de Reims, provoquant une émotion nationale dans la communauté soignante.
Ces violences relatées dans la presse locale sont en très forte hausse en 2022 (+23,3 % sur un an), alerte l'Ordre. Son recensement fait état exactement de 1 244 déclarations d’incidents signalés par les praticiens (libéraux, hospitaliers et salariés) auprès des conseils départementaux et consignées par l'observatoire de la sécurité des médecins. « On atteint là un triste record depuis la création de notre observatoire il y a 20 ans », confirme le Dr Jean-Jacques Avrane, auteur du rapport. Depuis la création de cet outil, le nombre d'incidents déclarés a été même multiplié par deux (lire page 17). « Et encore, nous n'avons là que la face visible de l'iceberg, souligne le conseiller national. Les résultats sont sous-évalués mais donnent une image pertinente des incidents ».
Les généralistes, principales victimes
Les premières victimes de ces violences sont les femmes (56 %), et très majoritairement les généralistes (71 %) alors qu'ils ne représentent que 43 % de la profession. Hors médecine générale, les incidents touchent majoritairement les psychiatres (46 incidents, 4 % des déclarations) « en raison probablement du profil de leur patientèle », puis les cardiologues (37 fiches, 3 %), les gynécologues-obstétriciens, les ophtalmologues et les médecins du travail (24 et 20 déclarations, 2 % chacun). Les radiologues, anesthésistes, pédiatres et rhumatologues déclarent moins – environ une quinzaine d'incidents. La néphrologie, la chirurgie de la main, la gériatrie ou l'angiologie sont touchées de façon marginale (une seule fiche de violence).
Les incidents recensés se déroulent le plus souvent dans les cabinets de ville (73 % des déclarations contre 21 % en établissement), en milieu urbain et dans les centres-villes (56 % des agressions), loin devant le secteur rural (21 % des violences, niveau stable). Les praticiens exerçant en banlieue signalent aussi ces violences (19 %) mais leurs signalements restent inférieurs à ceux qui y étaient recensés au milieu des années 2000 (35 %). Comme l'an passé, les Hauts-de-France affichent le plus fort taux d'incidents rapportés : 223 en 2022 (versus 172 en 2021). Viennent ensuite l'Île-de-France (176), Auvergne Rhône-Alpes et Paca. « Il y a davantage d'incidents dans ces quatre régions. Mais il faut relativiser cette donnée car le nombre d'incidents est calculé en fonction du nombre de médecins, variable selon la région », précise le Dr Avrane.
D'abord des reproches
Dans 58 % des cas, les agresseurs sont les patients eux-mêmes avec des incidents qui se concentrent sur la relation directe aux médecins, marqueur de la difficulté croissante de l'exercice. Un tiers des violences concernent ainsi des « reproches autour d'une prise en charge » (405 cas), devant les refus de prescription d'arrêt de travail ou de médicament (249 cas, 20 %), la falsification de documents (11 %) et le temps d'attente jugé excessif (10 % des cas). À noter que 108 incidents relèvent de vols (ordonnanciers, sacs/portefeuilles, cartes, tampons professionnels, argent liquide, véhicule, matériel informatique ou caducée). Le degré de gravité des agressions est stable puisque 6 % des incidents (74 cas) ont occasionné une interruption de travail (comme l'an passé) – dans la moitié des cas inférieure à trois jours.
Pour le conseiller ordinal qui a piloté ce rapport, ce bilan « reflète aussi certainement les difficultés d'accès aux soins et la problématique de non-acceptation de certaines prescriptions ». En tout cas, ajoute-t-il, « le plafond de verre a sauté, certains patients n'ont plus de respect vis-à-vis des médecins qui représentent une fonction régalienne comme les policiers ou les enseignants ».
Enfin, les statistiques sur les suites données à ces incidents confirment que moins du tiers des confrères portent plainte (31 %) et seuls 8 % déposent une main courante. « Majoritairement, les confrères hésitent à le faire car les agresseurs sont souvent les patients. Nous ne sommes pas là pour les punir mais pour les soigner. C'est dommage car ce n'est pas une manière pour combattre ce fléau », souligne le Dr Avrane.
Systèmes de surveillance
L'Ordre fait valoir qu'il s'est organisé pour accompagner les médecins victimes. Chaque conseil départemental (Cdom) dispose d’un référent sécurité, capable de conseiller le médecin agressé. « Lors du dépôt de plainte, le confrère peut se domicilier directement au Cdom pour éviter des suites fâcheuses, indique l’élu ordinal. Et nous nous portons aussi partie civile. » Sur le plan national, « nous travaillons avec les ministères de l'Intérieur et de la Santé pour améliorer le fonctionnement de la prise en charge et de la sécurité des médecins ». Le protocole national santé-sécurité-justice signé en 2011 par les Ordres, leurs syndicats et les ministères concernés (Santé, Intérieur, Justice) a été mis en place dans « la majorité des départements ».
À Paris par exemple, « un numéro de téléphone par arrondissement a été proposé pour joindre directement un officier de police afin de porter plainte, demander de l'aide », indique le président de l'Ordre de Paris. Pour prévenir les agressions, le conseil départemental a aussi proposé « des visites de cabinet avec des policiers pour étudier les problèmes de sécurité ». Ailleurs, quelques Ordres locaux expérimentent des systèmes d'alarme. « Mais hors de question d'enfermer un médecin dans un blockhaus », prévient le Dr Avrane.
Afin de sensibiliser les patients, l'Ordre lancera aussi une campagne d'affichage dans les cabinets médicaux. L'institution attend surtout le plan de lutte contre les violences envers les soignants promis en juin par Agnès Firmin Le Bodo. « Le plus important, relève le Dr Avrane, est de pouvoir travailler avec les services de l'État pour accompagner les victimes et faire diminuer l'insécurité ».
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre