C’est un paradoxe : les médecins constatent une dégradation de leurs conditions de travail et de leur statut dans la société, et pourtant, ils se disent épanouis dans leur métier. C’est ce qui ressort des entretiens menés par Alexandra Kempa auprès de dix-sept généralistes installés dans les Alpes-Maritimes. La jeune femme en a fait le sujet de sa thèse en médecine générale, soutenue au début de mois de septembre 2017 (*).
Les médecins (11 femmes, 6 hommes), âgés entre 28 et 64 ans (45 ans en moyenne), exerçant majoritairement en milieu urbain (53 %) et en groupe (pour 70 % d’entre eux), ont été interviewés au cours du mois de mars 2017. Ils ont livré leur vécu sur leur métier, les changements auxquels ils ont été confrontés dans leur pratique quotidienne au cours de leur carrière et l’évolution du rôle qu’ils incarnent auprès de leur patients, dans un contexte de baisse d’attractivité de la médecine libérale.
« J’ai le double de paperasserie »
Les conclusions ne surprendront pas leurs confrères. Au cours des dernières décennies, la charge administrative a considérablement augmenté, au détriment du temps médical. « J’ai le double de papiers par rapport à il y a 20 ans en arrière. Je fais deux fois plus de paperasserie », constate l’un des généralistes. Dans l’ensemble, ils ont l’impression d’« être les poubelles du système médical », pour reprendre l’expression de l’un d’entre eux. Ils « estiment que cela ronge le temps médical et la relation avec le patient, allant ainsi à l’encontre du rapport humain et de l’essence même de leur métier », relève Alexandra Kempa.
« Je vous paye donc vous faites ce que je vous dis »
Parallèlement, les généralistes doivent faire face à l’exigence croissante de leurs patients. C’est la génération du « tout, tout de suite », se plaint un praticien. « Je pense à une patiente qui me dit : “Je vous paye donc vous faites ce que je vous dis” », se souvient un autre. La ligne jaune est parfois franchie : manque de respect, violences verbales, insultes…
Les médecins encaissent : « Au début ça me surprenait ce manque de respect, maintenant on est habitués donc ça fait partie de la vie, du quotidien, on sait que c’est comme ça. » Mais ils n’hésitent plus à inviter les patients irrespectueux à changer de médecin.
Autre phénomène : la démocratisation de l’information qui affecte en profondeur la relation médecin-patient. « Un progrès à double tranchant », relève l’auteure de la thèse. Mieux informés, les patients sont plus exigeants en consultation. Ils « sont plus au courant par internet […] ils arrivent en disant : “ Vous pensez que ça peut être ça ? ” », raconte un médecin.
« On est très discuté par les patients », constate un autre qui y voit le signe d’une meilleure implication des malades qui participent davantage à leur santé. Corollaire : c’en est fini du « modèle paternaliste du médecin détenteur absolu du savoir et du donneur d’ordres au patient qui exécute sans discuter », écrit Alexandra Kempa. Une évolution que les médecins interrogés apprécient diversement.
Sentiment de dévalorisation
Ils sont plus unanimes pour regretter une « franche dégradation de leur statut », une « perte d’aura » qui se traduisent par un « sentiment de dévalorisation ». Les généralistes ressentent un « manque de considération » de la part de beaucoup de patients mais aussi, parfois, de la part de leurs propres confrères spécialistes.
« Je pense qu’il y a plein de confrères qui pensent qu’ils sont supérieurs aux généralistes, ça c’est clair ! Mais c’est pas quelque chose qu’on ressent au quotidien », confie l’un des praticiens interrogés.
Cette impression de dévalorisation trouve aussi son origine dans la rémunération. Les critiques se cristallisent sur le montant du tarif de la consultation qui leur apparaît comme « insultant » et qu’ils vivent comme une injustice. Globalement, les généralistes ressentent un « sentiment de rabaissement et de non prise en compte de leur qualification », par rapport à d’autres professions « ayant demandé moins d’années d’études et demandant au quotidien moins de responsabilité et de disponibilité ».
Reste que les médecins se disent satisfaits de leur niveau de vie. Et malgré toutes les difficultés dont ils se plaignent, la majorité d’entre eux se sentent « épanouis dans leur métier » et expriment « un vécu positif global de leur profession au quotidien ».
« L’interprétation que nous en faisons est que les médecins généralistes à l’heure actuelle rencontrent réellement des problèmes de fond dans leur exercice quotidien, mais qu’au final ils s’y adaptent de telle façon que les points positifs du métier ne soient pas occultés », analyse Alexandra Kempa. Pour l’auteure, l’amélioration des conditions d’exercice de la médecine générale passera par un allègement des contraintes administratives, « qui pèsent sur le temps disponible pour le contact humain, la satisfaction et la valorisation professionnelle du médecin ». C’est à ce prix que les jeunes générations se tourneront de nouveau vers l’exercice libéral.
(*) Alexandra Kempa. Vécu du métier de médecin généraliste en 2017 : enquête qualitative auprès des généralistes des Alpes-Maritimes. Médecine humaine et pathologie. 2017. <dumas-01633791>
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