Les sites de conseil médical à distance fleurissent sur Internet, et soulèvent mille questions. Plusieurs centaines de médecins français y consacrent déjà quelques heures par mois, moyennant finances, bien souvent. Un flou juridique entoure cette activité - assimilée à une prestation, pas à une consultation. La déontologie, parfois, est mise à mal. Pour le conseil de l’Ordre, il ne faut pas interdire le téléconseil mais l’encadrer. La méfiance syndicale est de mise.
MARTINE* s’est lancée sur Internet l’an passé. Conseiller des inconnus la nourrit intellectuellement : « On voit de tout, c’est une remise en question permanente ». Aucune contrepartie financière : Martine est bénévole, comme le petit groupe de confrères qui anime avec elle le site ledocteur.fr.
Son activité en cabinet passe avant tout. Les questions en ligne, la généraliste y répond quand elle peut, de façon irrégulière. Martine s’exprime sur la femme, l’enfant, les vaccinations internationales. Élude les questions déviantes sur le sexe. Le téléconseil, une médecine d’avenir ? « Ça peut le devenir, estime-t-elle. C’est très sérieux. Nous répondons en notre nom propre et sommes vigilants sur l’éthique. Il ne faut pas empiéter sur le terrain d’autres médecins. La plupart du temps, on dédramatise. Si j’ai un doute sur une prise en charge, je ne le dis surtout pas mais je propose de compléter le bilan. Il faudra se faire rémunérer pour ce travail à plus ou moins brève échéance ».
Pas de la télémédecine.
Financement, éthique, cadre légal, secret médical... : les questions soulevées par le téléconseil en santé sont multiples. Chaque site a ses propres règles - service gratuit ou payant, en direct ou en différé, par mail, par téléphone... La loi HPST est claire : le téléconseil n’entre pas dans le champ légal de la télémédecine (lire ci-dessous). Prudents, la plupart des sites se défendent de faire du diagnostic en ligne. Mais l’ambiguïté surgit parfois. Illustration avec la rubrique « réponse de nos spécialistes à vos questions », sur le site docteurclic.com. À une jeune femme angoissée, ce médecin répond de la sorte : « Vu le type d’extrasystoles que vous avez (supraventriculaires), vous ne risquez rien, et en tout pas d’arrêt cardiaque. Pour mourir d’arrêt cardiaque à votre âge, il faut avoir une malformation ou être toxicomane car le cœur est une machine incroyablement résistante ».
Autre exemple avec cette dame de 58 ans tracassée. Elle décrit les dernières semaines : arrachage d’une dent, antibiotique, diarrhée, antimycotique, glaires dans les selles... Coloscopie et fibroscopie normales peu avant. Son gastroentérologue est en congé, elle veut un avis rapide. Un généraliste lui répond (sous son vrai nom, au su et au vu de toute la toile) que l’attitude de son médecin lui paraît « adaptée », mais qu’il faudra « refaire une coproculture et même une coloscopie » en cas de glaires persistantes ou de perte de poids.
Gadget ?
Réaction très agacée du Dr Claude Leicher, président de MG France : « La situation peut paraître simple, mais le médecin ne sait ni les antécédents familiaux de cette dame, ni son poids. Lui parler d’emblée d’une coloscopie, ça met une pression, et c’est étaler son raisonnement sur la table ». Le téléconseil, à ses yeux, se résume à « un gadget ». « Pour faire une consultation, martèle le syndicaliste, il faut voir le patient. Vous pouvez passer à côté d’un purpura fulminans si vous ne voyez pas les taches sur la peau d’un enfant fiévreux ».
Le nom du Dr André Chassort, ancien secrétaire général du conseil national de l’Ordre des médecins, est cité sur le site docteurclic.com parmi des dizaines d’autres. Contacté, il tombe des nues. « Je tiens des chats et un blog pour la Mutualité. Mais je ne participe à aucun site commercial. J’ignore comment mon nom a atterri là. Faire de la médecine en ligne est trop dangereux ».
Complément ou concurrence.
Tous les sites de téléconseil ne se ressemblent pas, insiste de son côté le Dr Frédéric Dussauze, cofondateur du site medecin-direct.fr. Il assure respecter le secret médical à la lettre. « Aucune de nos questions réponses n’est ouverte à tous ». Sa plateforme répond à un besoin croissant. Les internautes, de tous âges, questionnent tous azimuts. Quels vaccins pour la Guyane ? Que penser de cette échographie du rein, de ce kyste à l’ovaire droit ? « On réexplique une consultation a posteriori, on aide à préparer un rendez-vous. Face à un patient éclairé, le médecin traitant ne sera que plus efficace. Le téléconseil est un complément de la médecine classique. Pas un concurrent », lance le Dr Dussauze à l’adresse des syndicats frileux.
Au CISS (Collectif interassociatif sur la santé, usagers), le discours se veut prudent. « Devoir payer soi-même pour avoir une information médicale, cela pose question », note Marc Paris, porte-parole. Le service offert est parfois gratuit, ou offert par des mutuelles. Parfois très cher : 8 euros le « dialogue » sur Internet, 50 euros les 10 questions, 2,50 euros la minute d’appel téléphonique... Un site prévoit même un généreux plafond : maximum 600 à 900 euros par utilisateur et par mois !
* Prénom d’emprunt
Quatre généralistes font vivre à tour de rôle un cabinet éphémère d’un village du Jura dépourvu de médecin
En direct du CMGF 2025
Un généraliste, c’est quoi ? Au CMGF, le nouveau référentiel métier redéfinit les contours de la profession
« Ce que fait le député Garot, c’est du sabotage ! » : la nouvelle présidente de Médecins pour demain à l’offensive
Jusqu’à quatre fois plus d’antibiotiques prescrits quand le patient est demandeur