PAR LE Pr CHRISTIAN MEYER*
PARMI LES nombreux défis que les chirurgiens seront amenés à relever dans les années à venir, la judiciarisation de notre profession n’en est pas un des moindres si l’on se réfère au nombre croissant de mises en cause. À ce propos il apparaît qu’un praticien est mis en cause en moyenne tous les 3 ans et qu’en 2008 un des grands groupes d’assurances français (Le Sou Médical - MACSF) a enregistré 207 déclarations d’accidents se répartissant pour moitié pour la chirurgie orthopédique et pour un tiers pour la chirurgie générale et viscérale. Les motifs de condamnation étaient principalement un défaut d’information (28 %), une maladresse opératoire fautive (22 %), une infection nosocomiale (17 %), un défaut dans le suivi postopératoire (14 %), une indication opératoire non conforme ou précipitée (7 %) et une erreur de diagnostic (6 %). Parmi les accidents survenus au bloc opératoire, il est surtout relevé des oublis de corps étrangers (32 %), des accidents positionnels (24 %), des brûlures par bistouri électrique (19 %), des erreurs d’intervention ou de côté (10 %) et des chutes de table d’intervention ou de brancard (8 %). Il convient cependant de relativiser cette incidence de sinistralité en rappelant qu’en 2009 ont été réalisées en France 6,5 m d’interventions chirurgicales, entachées en peropératoire de 60 000 à 95 000 d’événements indésirables graves (EIG) (Conseil National de la Chirurgie) tout en sachant que près de la moitié d’entre eux seraient considérés comme évitables. À l’origine de ces EIG sont surtout retrouvés une erreur humaine et un défaut d’organisation. Les différentes procédures en responsabilité médicale varient en fonction du but recherché par le patient ou leurs ayants droit. La plupart ont un objectif indemnitaire (saisie de la CRIC, procédure civile pour les praticiens libéraux ou administrative pour l’hôpital public), certains une volonté répressive (procédure pénale) alors que d’autres ont une volonté de sanction professionnelle (procédure ordinale), le cumul des procédures étant possible.
La mise en cause recouvre aussi bien la période pré, per que postopératoire chacune ayant ses spécificités avec dès lors la nécessité de mettre en œuvre des mesures préventives adaptées.
La période pré-opératoire est sensible sur 2 points : l’indication opératoire et l’information du patient. À cet égard, le chirurgien devra être tout particulièrement vigilant afin d’éviter de poser une indication inutile, de tenter tous les traitements médicaux avant de proposer la chirurgie, de veiller à ce que l’indication soit, autant que faire se peut, fondée sur les données prouvées (biologie, imagerie) et/ou factuelles (evidence base medecine) et in fine de tenir compte d’un délai de réflexion suffisant pour le patient. L’obligation d’informer est un fait incontournable. Cette information devra notamment porter sur l’état de santé actuel et prévisible du patient, sur la nature, les tenants et aboutissants du ou des traitements envisagés, les conséquences en cas de refus, les alternatives thérapeutiques possibles, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles et les précautions à prendre. Il sera également nécessaire de pouvoir fournir les preuves de l’information, surtout par l’écrit, mais également par le témoignage, le recueil du consentement du patient à l’intervention est nécessaire.
La période peropératoire doit être focalisée sur un certain nombre de points qui forment la trame des motifs de réclamation. En l’espèce et en cas d’oubli de corps étrangers (compresses, champs, aiguilles, morceaux d’instruments…), le chirurgien est en général considéré par les magistrats comme responsable, l’établissement étant tenu à mettre à disposition du chirurgien du personnel compétent (IDE ou IBODE), la traçabilité est essentielle et doit figurer dans le dossier médical afin de pouvoir identifier le(s) responsable(s), ce qui peut parfois être difficile s’il existe plusieurs interventions. S’agissant des accidents de position avec les conséquences d’atteintes nerveuses périphériques que cela implique, le chirurgien devra veiller, avec l’anesthésiste, à l’installation du patient, la condamnation pouvant être exclusive l’un de l’autre, mais également in solidum. Pour ce qui a trait aux brûlures électriques, il faudra impérativement veiller à utiliser du matériel adapté (plaques bizones), vérifier chaque élément du dispositif et son état de fonctionnement.
Afin d’éviter les erreurs de patient ou de côté, les consignes de sécurité relatives à l’identité du patient, qui doit être obtenue par une question ouverte, doivent être respectées avec 3 concordances : le bracelet d’identification porté par le patient, le dossier du patient et le programme opératoire du jour. Toute discordance doit faire arrêter la prise en charge jusqu’à ce que le doute soit levé. Quant aux chutes au bloc opératoire, elles peuvent être à l’origine de complications graves (fractures, voire tétraplégie). Il faudra s’astreindre à une surveillance permanente de l’opéré, de son entrée à la sortie de la salle d’opération, utiliser une contention recommandée, faire attention au réveil précoce, en notant que la responsabilité est susceptible d’être partagée par l’équipe (cf. article sur la check-list, page 16).
Pour ce qui concerne les infections nosocomiales, actualisées sous la dénomination d’infections associées aux soins (IAS), elles se définissent par leur survenue au « cours ou au décours d’une prise en charge diagnostique, thérapeutique, palliative, de prévention ou éducative d’un patient et si elle n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge ». Pour les infections du site opératoire (ISO) elles sont reconnues comme associées aux soins si elles surviennent dans les 30 jours après l’intervention ou s’il y a mise en place d’un implant, d’une prothèse ou d’un matériel prothétique, dans l’année qui suit l’intervention. Le régime de responsabilité applicable depuis la loi du 4 mars 2002 (Loi Kouchner) est une « obligation de sécurité et de résultat à la charge des établissements de santé publics et privés pour les infections contractées à partir du 5.09.2001 sauf preuve d’une cause étrangère ». La prise en charge est faite par l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) quand le préjudice est supérieur à un taux d’incapacité permanente de 25 % ou en cas de décès, voire par l’établissement de santé lorsque le taux est inférieur à 25 %. Pour le praticien, il s’agit d’une obligation de moyens, avec la nécessité d’une faute prouvée pour que la responsabilité du chirurgien soit engagée.
La période postopératoire est une autre phase sensible dans la prise en charge chirurgicale eu égard aux risques de complications postopératoires, sources possibles de problèmes médico-légaux. Il apparaît nécessaire d’être en possession d’un compte rendu opératoire, moyen de preuve privilégié et dont la rédaction doit être suffisamment détaillée, en évitant le compte rendu type et y faisant figurer les particularités anatomiques ainsi que les difficultés qui ont pu survenir de même que les incidents peropératoires qui ne doivent pas être occultés ni dissimulés. Le suivi postopératoire doit être assuré par le chirurgien qui délivrera les consignes ad hoc écrites et datées au personnel soignant, fera réaliser les bilans biologiques et les examens complémentaires nécessaires, recherchera sans tarder une éventuelle complication, réagira de façon adaptée en cas de survenue d’une complication en termes de rapidité et de pertinence, demandera un avis spécialisé, un transfert ou une hospitalisation tout en délivrant au patient ou à sa famille, en temps réel, les informations utiles à la compréhension de la situation et in fine informera rapidement le médecin traitant par lettre. Le patient se verra délivrer les consignes postopératoires s’agissant des signes d’aggravation ou d’amélioration à prendre en compte, le rythme des contrôles à réaliser et la conduite à adopter en cas de survenue de complications. La bonne gestion du risque opératoire repose par ailleurs sur une communication faite par un seul référent qui délivrera l’information de façon régulière et en s’assurant de la parfaite traçabilité du dossier et par la suite de son archivage correct.
En cas de mise en cause, une expertise sera diligentée soit par la CRCI (Commission Régionale de Conciliation et d’Indemnisation) qui correspond à une procédure non judiciaire avec la prise en charge, par la solidarité nationale, du préjudice en l’absence de faute et sinon par l’assurance en RCP (responsabilité civile professionnelle) du praticien, soit par le Tribunal de Grande Instance (TGI) en procédure civile, l’expert devant notamment établir la réalité d’un préjudice et sa quantification, l’existence d’une faute médicale, et un lien de causalité entre la faute et le préjudice, ou pénale (homicide involontaire, non assistance à personne en danger) avec des sanctions pouvant aller d’une amende (payable par le praticien et non par l’assureur) jusqu’à la perte de liberté (rarissime). Avant l’expertise, le dossier médical peut être saisi et il sera dans ces cas judicieux d’en faire une photocopie, d’organiser une réunion avec un praticien expert de la même discipline et un avocat spécialisé (d’où la nécessité d’une bonne assurance en RCP), afin de définir le comportement et le discours à adopter. Pendant l’expertise, il sera utile de remettre son CV à l’expert et de faire état de la bibliographie à propos du cas litigieux. Après l’expertise, il y aura lieu de faire le point sur son déroulement et de prévoir les réponses à l’expert sous la forme de « Dires ». Les condamnations au Civil peuvent résulter d’un mauvais résultat, d’un échec ou d’un décès s’agissant en l’espèce d’une mauvaise indication, d’une information insuffisante, d’une maladresse technique ou d’un défaut dans le suivi postopératoire. Il convient également de savoir que depuis la loi du 4 mars 2002, la responsabilité juridique est de 10 ans à partir de la consolidation du dommage, en sachant que celui-ci peut ne jamais être consolidé…
* Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, expert agréé par la Cour de Cassation, CHU Strasbourg Hautepierre.
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre