Les lapins, ces rendez-vous auxquels les patients ne se présentent pas sans prévenir, font partie du quotidien des médecins, qui s’en plaignent toujours davantage. Leur récurrence constitue souvent une source de conflit, mais ces affaires remontent rarement jusqu’à l’Ordre des médecins. C’est pourtant ce qui est arrivé au mois d’octobre dernier au Dr Louis-Adrien Delarue.
Ce généraliste, installé à Angoulême depuis 10 ans, a été amené à s’expliquer devant le conseil départemental de l’Ordre des médecins de Charente, après avoir exclu de son cabinet un patient qu’il suivait depuis plusieurs années. Motif : « Il a manqué 6 rendez-vous sans prévenir et sans s’excuser, justifie le Dr Delarue. Dont deux consultations d’une heure avec l’infirmière du cabinet. » Ce qui a conduit à cette décision radicale.
En l’apprenant, le patient, très vindicatif, a tout d’abord « incendié la secrétaire, l’a menacée de lui envoyer les gendarmes, qu’elle allait finir en prison », avant de se plaindre à l’Ordre des pratiques médicales de son médecin. Une réunion de conciliation s’est tenue à l’issue de laquelle il aurait choisi de maintenir sa plainte. Si celle-ci est jugée recevable, l’affaire pourrait se régler devant la chambre disciplinaire de première instance.
Cette mésaventure aux allures de règlement de compte, laisse un goût amer au Dr Delarue. « Cela m’a beaucoup affecté, avoue le généraliste qui a épousé le métier par vocation. J’ai fait preuve de beaucoup de tolérance vis-à-vis de ce patient et je me retrouve à m’expliquer devant l’Ordre. » Un comble, selon lui, dans un contexte de pénurie médicale. « Au cabinet [où exercent deux autres médecins], nous avons en moyenne deux rendez-vous non honorés non excusés par jour, regrette-t-il. Ces consultations pourraient profiter à d’autres. À Angoulême, il y a 8 000 patients sans médecin traitant ! »
« On ne vient pas au cabinet comme dans un moulin »
Le généraliste dit avoir fait les choses dans les règles. « Un médecin peut rompre le suivi d’un patient pour des raisons personnelles ou professionnelles, mais il a l’obligation de transmettre les informations nécessaires au suivi médical et de répondre aux situations d’urgence », rappelle-t-il.
Les patients sont prévenus qu’en cas d’absences répétées aux consultations, sans excuses valables, ils s’exposent à une rupture du contrat de médecin traitant. Une affiche est épinglée au cabinet. « On essaie de mettre un cadre, qu’on ne vient pas au cabinet comme dans un moulin. Mais on fait preuve de souplesse, la réponse est graduée, on essaie de comprendre et on s’adapte aux situations des uns et des autres… jusqu’à un certain point », nuance le Dr Delarue. Les situations familiales, les troubles cognitifs ou psychiatriques entrent en ligne de compte.
« Les gens dégoupillent de plus en plus vite »
Il n’empêche, les incidents sont de plus en plus fréquents et pas seulement sur la question des lapins. Pour le Dr Delarue, cela reflète surtout une évolution des comportements et des relations médecin-patient. Les violences verbales se multiplient, « les gens dégoupillent de plus en plus vite. Quand ils ne sont pas contents, qu’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, ils sortent de la consultation en claquant la porte et ils nous menacent de porter plainte, témoigne-t-il. On travaille en permanence avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. » Sans compter les avis calomnieux publiés sur internet, « qui relèvent parfois de la diffamation ».
Pas une semaine, assure le praticien, sans qu’un patient ne soit exclu du cabinet en raison de son comportement. Le généraliste a renoncé à signaler tous ces incidents à l’Ordre comme les médecins y sont invités. Trop chronophage, dit-il, en réclamant une procédure de déclaration en ligne de bout en bout.
Autre regret : l’impossibilité de mettre fin au contrat de médecin traitant sur le site de l’Assurance-maladie. Résultat : « On reçoit des comptes rendus de spécialistes, les analyses des laboratoires de biologie, alors qu’on ne suit plus ces patients », déplore le Dr Delarue, un peu désabusé.
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