Faut-il voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ? « 31 services d'accès aux soins (SAS) sont aujourd'hui opérationnels dans les territoires et couvrent la moitié de la population française », se félicite en tout cas le ministère de la Santé. Pour parcourir « le reste du chemin », ces fameux SAS, antidotes espérés à la saturation des urgences, seront généralisés « dès l'année 2023 ».
Cette annonce fait suite à la promesse d'Emmanuel Macron de désengorger tous les services d'urgences d'ici à fin 2024. Expérimenté depuis 2020 dans 13 régions et 22 sites pilotes, le SAS — accessible 24 h/24, 7 jours sur 7, via le 15 — est censé garantir une réponse médicale rapide aux appels vitaux, urgents et non programmés, grâce à une chaîne de soins lisible et coordonnée entre l’hôpital et la ville d’un même territoire.
Pour accompagner cette généralisation France entière en s'inspirant de ce qui marche, François Braun, lui-même ancien président de Samu-Urgences de France (SUdF), a missionné cinq personnalités : trois médecins (un généraliste libéral, le Dr Yannick Frezet, et deux urgentistes hospitaliers, les Drs Yann Penverne et Henri Delelis-Fanien), un représentant des patients désigné par France Assos Santé et Céline Etchetto, directrice déléguée à l’organisation de l’offre de soins de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. « Cette mission se déplacera dans toute la France jusqu’à l’été 2023 pour s’inspirer des expériences réussies et permettre le déploiement des SAS dans tous les territoires en articulation avec les organisations locales déjà existantes », précise le ministère.
Offre disponible de soins non programmés
En attendant, le ministère doit encore publier un décret pour « asseoir le cadre réglementaire de ce nouveau dispositif et sécuriser les organisations ». Très attendu par les libéraux, ce texte devrait notamment préciser si d'autres numéros d'appel — comme le 116 117 mis en place dans certains départements — seront dans la boucle et si l'inscription sur la nouvelle plateforme numérique nationale sera obligatoire pour les libéraux.
Après quelques bugs, cet outil informatique qui héberge un annuaire national, associé à un moteur de recherche et à un service d’agrégateur de disponibilités de créneaux, est aujourd'hui « opérationnel », assure le ministère. Il permet de recenser l'ensemble de l'offre de soins non programmés disponible dans un territoire et permet au régulateur du SAS d'orienter les appelants.
Côté rémunération, la valorisation des médecins libéraux participant au SAS a bien été reprise dans le règlement arbitral (100 euros brut/heure pour les régulateurs et majoration de consultation de 15 euros pour les effecteurs en cas de prise en charge d'un patient hors patientèle dans les 48 heures qui suivent l'adressage par un SAS hors PDS-A) et appliquée dès le 1er mai. Mais d'autres questions demeurent comme celle de l'indemnisation du praticien si les patients adressés n'honorent pas leur rendez-vous.
Méthode descendante
Quoi qu'il en soit, sur le terrain, la généralisation du SAS en quelques mois n'est pas forcément bien accueillie par les libéraux, déjà douchés par les mesures du règlement arbitral. Président de la conférence nationale des URPS médecins libéraux, le Dr Antoine Leveneur avait émis dès janvier des doutes sur cette généralisation à marche forcée. Il persiste et signe. « Toutes les conditions ne sont pas remplies, juge le généraliste normand. Que fait-on des CPTS ou des organisations locales de soins non programmés déjà en place et rémunérées par les ARS ? » De surcroît, le fonctionnement de la plateforme numérique nationale serait loin d'être « optimal », quoi qu'en dise le ministère. « Il y a encore des bugs. Chez moi, les trois quarts des Samu/SAS ne se servent pas de cette plateforme ».
Le Dr Jean-François Moreul, vice-président de la fédération des CPTS, dénonce de son côté « une méthode verticale, descendante avec un modèle économique, un modèle informatique, de la régulation et pas de subsidiarité ni d'adaptation aux besoins ». C'est justement pour contester cette façon de faire que les professionnels de son territoire ont décidé d'interrompre le projet local qui devait démarrer en janvier. « On réclamait que le SAS ne s'applique pas de façon uniforme car les besoins sont différents d'un secteur à un autre. Nous n'avons pas été entendus », regrette le généraliste, qui est aussi coprésident de la CPTS des Vallées de l'Anjou Bleu (Maine-et-Loire) .
L'épine de la gouvernance
Médecin généraliste dans l'Indre à Valençay, la Dr Sylvaine Le Liboux, co-créatrice du SAS 36 local, prévient que « le respect de l'organisation de chaque territoire » sera une condition clé pour réussir la généralisation de ce service universel. « Or, le décret en concertation manque de souplesse, il prévoit que l'entrée au SAS passe par le 15 et que les généralistes doivent ouvrir des créneaux dans la plateforme numérique nationale. On n'en veut pas », prévient déjà la secrétaire générale des Généralistes-CSMF. Dans son territoire, la réponse aux soins non programmés passe par une plateforme de régulation libérale gérée par les CPTS. « Les médecins donnent leurs créneaux disponibles via un logiciel, uniquement accessibles aux régulateurs libéraux du SAS. Malgré le manque de médecins, cela fonctionne depuis quinze mois ». La question de la mise sous tutelle hospitalière des SAS reste donc une inquiétude pour nombre de libéraux.
Dans d'autres départements où le SAS est en construction, des prérequis sont réclamés, comme dans le Cher. « L'évolution promise de la plateforme numérique n'a pas eu lieu, elle n'est pas compatible avec le système de régulation actuel des médecins libéraux. Cela ne se fait pas avec un claquement de doigts », témoigne le Dr Walter Lanotte, président de la CPTS de Bourges. Dans le Tarn cette fois, « les discussions démarrent mais ce n’est pas simple car le Samu est dans une culture de l'urgence, confie la Dr Margot Bayart, présidente de la CPTS Centre Tarn. Pour nous, tout ne se résume pas à l'urgence vitale, la place de chacun doit être respectée ». Pas question, résume la première vice-présidente de MG France, que « les généralistes soient les petits soldats du Samu ».
Successeur du Pr Pierre Carli à la tête du Samu de Paris, le Pr Frédéric Adnet comprend « les réticences », à ce stade, des médecins libéraux. Mais, espère-t-il, « une fois les réglages faits », y compris le recrutement du personnel de régulation (encadré), le rodage de la plateforme numérique nationale et l'optimisation des prises de rendez-vous en médecine libérale, la généralisation « sera en bonne voie ».
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