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Dossier

Élections aux URPS : anatomie d'un scrutin qui bouscule la médecine libérale

Par Marie Foult et Cyrille Dupuis et Loan Tranthimy - Publié le 16/04/2021
Élections aux URPS : anatomie d'un scrutin qui bouscule la médecine libérale

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Recul des centrales historiques (CSMF, FMF, SML), poussée des forces monocatégorielles (MG France, Avenir Spé-Le BLOC), irruption de l'UFML sur l'échiquier, balkanisation et abstention record : tels sont les enseignements d'un scrutin qui rebat les cartes du jeu syndical.

Les 113 587 médecins libéraux ont très peu voté mais cela ne les a pas empêchés de bousculer la donne syndicale. Anatomie d'un vote. 

Abstention record : tendance lourde ?  

C'est le fait majeur de ce scrutin. Alors que la profession médicale était réputée pour se mobiliser largement, malgré une érosion au fil du temps, la participation des 113 588 médecins libéraux inscrits s'est effondrée : 22,66 % tous collèges ! C’est 17 points de moins qu’en 2015 (39,9 %), et très loin des taux de participation atteints en 2010 (44,6 %), 2006 (46 %) et surtout 2000 (52,7 %). Même si les 56 300 généralistes se sont un peu mieux mobilisés (23,74 %) que leurs 57 200 confrères spécialistes (21,60 %), le coup est rude pour les syndicats mais aussi pour les URPS elles-mêmes – les « Parlements médicaux » en région – qui tirent aussi leur légitimité du poids électoral.    

Certes, le vote 100 % électronique – une première – a découragé de nombreux praticiens au regard de la procédure fastidieuse. Mais d'autres professions ont beaucoup mieux voté, comme les pharmaciens (47 %) et les dentistes (42,5 %). Au-delà des aléas techniques, le contexte épidémique, les défis de la vaccination, l’impossibilité pour les syndicats de faire campagne normalement ont pesé. « L’extrême lassitude entraînée par une année de crise sanitaire explique aussi un pourcentage d’abstention de plus de 75 % », diagnostique MG France. Et la multiplication des listes chez les médecins (huit syndicats, deux collèges) n'a rien arrangé. 

Une balkanisation qui s'accentue

Cet éparpillement est la deuxième leçon. Certes, l'histoire du syndicalisme médical est jalonnée de scissions et schismes. Nombre de structures – dont MG France – sont issues de déchirements au sein de la CSMF et de la volonté d'autonomisation de certains adhérents. Mais ce scrutin a consacré ce morcellement avec un bal de huit prétendants dont trois nouveaux venus : l'Union française pour une médecine libre (UFML, devenue syndicat en 2017), Jeunes Médecins jusque-là présent chez les seuls praticiens hospitaliers, et l'alliance du BLOC et Avenir Spé (ce dernier abritant les spécialités ayant quitté la CSMF). « Cette balkanisation est très préjudiciable pour la médecine libérale face à nos interlocuteurs. Elle doit amener une réflexion de l'ensemble des leaders syndicaux », suggère le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF.

Cette dispersion se retrouve dans les résultats (graphiques nationaux page 11 et régionaux page 14). Chez les généralistes, derrière le solide leader MG France (36,6 %), on retrouve trois syndicats au coude à coude à 17 % (CSMF, FMF et UFML). Il faudra donc former des alliances pour porter demain des accords conventionnels solides et faire vivre les commissions paritaires. Des rapprochements syndicaux qui se font de longue date au niveau local, au sein des assemblées des URPS.

La réussite des forces… monocatégorielles

Même si la profession est morcelée, une tendance s'est affirmée avec le succès des syndicats ayant choisi une défense monocatégorielle : MG France uniquement chez les médecins de famille (depuis 1986), Avenir Spé-Le BLOC exclusivement chez les spécialistes de second recours. Ces deux vainqueurs du scrutin 2021 y voient la légitimation de leur stratégie identitaire, ancienne ou récente. « Je constate l'échec lourd des centrales polycatégorielles, qui était prévisible », cingle le Dr Philippe Cuq, chirurgien coprésident du BLOC. Son binôme à la tête d'Avenir Spé, le gastro-entérologue Patrick Gasser, invite « toutes les verticalités à rallier notre union syndicale car c'est l'évolution logique des choses. » « Le succès des listes d'Avenir Spé-Le BLOC révèle la volonté des spécialistes d'être représentés en tant que tels », abonde le Dr Jean-Philippe Masson, patron de la puissante Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR).   

Est-on mieux défendu (sur les honoraires, le parcours de soins, le secteur II, etc.) par des syndicats qui ne représentent que la moitié de la profession ? Loin de cette analyse, les centrales polycatégorielles déplorent un « repli identitaire », une vision « à rebours de l'histoire » – puisque tous les médecins sont des spécialistes – et même une incongruité à l'heure du travail en équipe. 

Prime à la nouveauté et au maximalisme 

En 2015 déjà, les syndicats les plus « radicaux » avaient cartonné, ceux qui incarnaient le plus lisiblement l'opposition à la loi de santé, au tiers payant généralisé, à Marisol Touraine. La FMF (alors renforcée par des candidats de l'UFML) et Le BLOC étaient sur ce créneau très contestataire avec, à l'époque, des menaces de déconventionnement ou de blocage sanitaire. 

Cette année, l'UFML a su capitaliser sur un discours tranché autour de l'indépendance professionnelle et sur la critique de syndicats installés jugés trop complaisants. Un positionnement qui a fait mouche aussi bien chez les généralistes que chez les spécialistes (17 % des suffrages dans chaque collège pour cette première). « Nous voulons être l'étincelle pour dire que la récréation est terminée », lance son président Jérôme Marty. Si ses bons scores assurent à l'UFML une représentativité officielle, reste à traduire cette volonté de renverser la table dans le jeu conventionnel. Un autre défi. « C'est un peu du macronisme syndical, ironise le Dr Le Sauder, présidente de la FMF. On vote pour eux au cas où ils changeraient les choses. » 

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