Trois jours après les annonces d’Emmanuel Macron, qui souhaite aller « plus vite et plus fort » sur les délégations d'actes et transferts de compétences, la profession serre les dents et les rangs.
Alors que, vendredi, le président de la République a appelé les Français à « avoir recours à d’autres professionnels (que les médecins) pour renouveler leurs ordonnances pour des maladies chroniques, pour la vaccination, pour le dépistage », l’Union française pour une médecine libre (UFML-S) voit dans ces propos « une insulte » aux confrères libéraux. Dénonçant un président « déconnecté » et « d’une naïveté confondante », le syndicat fulmine : « Le renouvellement d’ordonnance, c’est la médecine libérale vue depuis le comptoir du Balto ! C’est une médecine presse-bouton, qui n’existe que dans les fantasmes de celles ou ceux qui voient les médecins comme leur petit personnel. »
Disparition à « très court terme » du médecin traitant
En souhaitant confier les renouvellements aux pharmaciens ou aux infirmiers, Emmanuel Macron « reprend les thèses de ceux qui affirment qu’il serait si facile de renouveler une ordonnance, que tout le monde pourrait le faire, oubliant qu’il s’agit en fait d’une réévaluation et du suivi de l’ensemble des pathologies du patient », abonde MG France. Ce week-end, le syndicat de généralistes a fait état de sa « consternation » face à des annonces qui pourraient précipiter la disparition à « très court terme » du médecin traitant.
Une phrase a particulièrement du mal à passer auprès des confrères libéraux. Vendredi, le chef de l'État voulait croire que le dialogue avec les paramédicaux permettrait aux médecins de trouver « la bonne fréquence » (en matière de délégations de renouvellements). « S'ils sont malins, ils [médecins référents] délèguent les actes aux paramédicaux, les actes qui ont le moins de valeur », avait-il avancé. Un « profond mépris », selon l’UFML, qui voit aussi dans l’idée « d’équipe traitante » prônée par le chef de l’État un concept « fumeux », qui « pulvérise » le rôle du médecin traitant.
Pas en reste, la FMF tire à boulets rouges sur le discours présidentiel. « Donner la médecine à des officiers de santé BAC+5, des équipes traitantes, c’est faire disparaître le parcours de soin, se désole le syndicat de Corinne Le Sauder. C’est faire une médecine de moindre qualité et supprimer le rôle primordial du médecin qui lui seul peut faire un diagnostic médical et établir une prise en charge adaptée à chaque patient. Le médecin traitant ne doit pas être vu comme un médecin que l’on trait... »
L'accès direct demain au Palais-Bourbon
La colère des libéraux est galvanisée par l’examen, à partir de ce mardi 10 janvier, en commission des affaires sociales, de la proposition de loi (PPL) de Stéphanie Rist. Rédigé à l’automne, le texte élaboré par la rhumatologue de la majorité (Renaissance) souhaite offrir un accès direct aux infirmières de pratique avancée (IPA), aux kinés et aux orthophonistes, dans le cadre d’un exercice coordonné, « pour que les patients puissent se rendre directement chez ces professionnels sans passer en amont par un médecin ». Aussi, le texte entend ouvrir un droit de primoprescription aux IPA, tout en créant un nouveau statut « d’infirmier en pratique avancée - praticien ». Des « super IPA » qui pourront « intervenir en première ligne » sur des pathologies courantes, justifie Stéphanie Rist.
Fin décembre déjà, le Syndicat des médecins libéraux (SML) voyait dans ces dispositions « un exercice illégal de la médecine caractérisé » de la part des IPA. La semaine dernière, la CSMF a dénoncé une proposition « particulièrement dangereuse ». « Si elle était votée, elle aboutirait durablement à une médecine à deux vitesses : celle de nos concitoyens qui auront la chance de voir un médecin, celle de ceux qui seront pris en charge par un officier de santé », imaginait Franck Devulder, président de la CSMF.
Des députés veulent aller plus loin
À la veille du passage en commission de cette proposition de loi, plus de 300 amendements ont été déposés par les parlementaires. Certains veulent mieux encadrer l’accès direct, comme le député (LR) Thibault Bazin qui souhaite que « la primo-consultation par un IPA soit suivie d’une consultation par un médecin généraliste traitant » ou encore que l’accès direct aux kinés soit limité à cinq séances. Le député de Meurthe-et-Moselle a également déposé un amendement pour évaluer l’impact de ces mesures sur la rémunération des généralistes.
À l’inverse, d’autres élus – nombreux – entendent pousser au maximum la délégation de tâches. Le Pr Philippe Juvin, député (LR) des Hauts-de-Seine propose que les infirmières puissent expérimenter la délivrance d’arrêts de travail, ou que celles exerçant aux urgences puissent prescrire des antalgiques de palier I à III.
Enfin, conformément à la feuille de route d’Emmanuel Macron, certains députés de la majorité défendront des amendements pour permettre aux pharmaciens de renouveler des ordonnances, d'adapter des posologies ou de délivrer – pour une durée de trois mois – la pilule progestative.
Kinés et infirmiers aux anges
À rebours des médecins, les paramédicaux se montrent ravis du texte de Stéphanie Rist et du discours présidentiel. Des « annonces historiques » pour l’Ordre des infirmiers, qui félicite le chef de l’État pour sa vision « pragmatique » et affirme soutenir la proposition de loi de la rhumatologue de la majorité. Le Syndicat national des infirmiers libéraux (Sniil) salue les « belles perspectives » ouvertes par le président et attend désormais « des actes » pour avancer davantage vers l’évolution des compétences.
Les kinés, eux aussi, espèrent beaucoup de l’examen du texte de Stéphanie Rist, pour répondre « de manière efficace à la désertification sanitaire ». Dans un communiqué commun, l’Ordre des kinés et les syndicats du secteur insistent sur la pertinence de ces accès directs. « Nous rappelons que depuis 2016, en cas d’urgence et en l’absence d’un médecin, les kinésithérapeutes ont pris en charge en accès direct à leur demande de nombreux patients, sans qu’il n’y ait eu aucune déclaration d’accident et aucune plainte », plaident-ils. Et de rappeler que l’accès direct « a fait ses preuves » dans de multiples pays à l’instar du Royaume-Uni, de l’Espagne ou des Pays-Bas.
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