C’est un rêve pour certains : changer de vie, de carrière, repartir à zéro en embrassant une nouvelle spécialité. Dès la rentrée prochaine, une centaine de confrères déjà en exercice pourront effectivement se reconvertir, en postulant à un second diplôme d’études spécialisées (DES). Ils devront alors réenfiler leur blouse d’interne.
Prévue par un décret de 2017, cette possibilité aurait déjà dû entrer en vigueur au 1er janvier 2021. Malgré une lettre de mission ministérielle envoyée en décembre 2020 et des réunions du comité de pilotage hebdomadaires, la mise en place du deuxième DES a pris deux ans de retard. En avril 2022, l’arrêté permettant aux médecins de « postuler » à une autre spécialité a finalement été publié. Le texte leur permet aussi de se surspécialiser - en addictologie, médecine du sommeil ou encore en soins palliatifs par exemple - en leur ouvrant les portes des options et formations spécialisées transversales (FST).
Puis il fallut atteindre un an supplémentaire pour connaître le nombre de postes alloués dans chaque CHU à ces néointernes. Le verdict est finalement tombé début avril et a fait beaucoup de déçus, en raison du faible nombre de places proposées. Au total, sur toute la France, 111 postes seulement seront ainsi accordés, dès la rentrée prochaine, aux médecins qui souhaitent réaliser un deuxième DES – 20 en psychiatrie, 11 en pédiatrie, 10 en gériatrie et 8 en médecine générale - et 152 places sont ouvertes pour les FST. « De la poudre aux yeux », pour Olivia Fraigneau, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni).
Trois d'exercice minimum
Si les places sont délivrées au compte-goutte, les conditions d’accès sont aussi extrêmement encadrées. Pour commencer, les candidats devront justifier de trois ans minimum d'exercice à temps plein, avant de prétendre à une réorientation, et d'un an pour candidater à une option ou une FST. Les textes précisent toutefois qu'une exception pourra être faite pour les praticiens qui ne peuvent plus « exercer leur profession pour raison médicale », un chirurgien blessé à la main par exemple.
Les confrères ont jusqu’au 30 avril de chaque année pour envoyer leur dossier à la fac. Ce sont les commissions régionales de coordination des 44 spécialités qui seront chargées d’examiner les demandes des médecins en reconversion. CV, lettre de motivation, justificatifs de formations complémentaires : le dossier devra être nourri de « toute pièce permettant d'évaluer les connaissances et les compétences du candidat ainsi que son projet professionnel ». Une liste « d’admissibles » sera ensuite dressée, au plus tard trois mois avant la rentrée scolaire.
Une fois admis, le médecin suivra en tous points - ou presque - le parcours d’un jeune interne, mais avec une maquette à la carte. Aussi, un réanimateur qui souhaite devenir anesthésiste n’aura pas à suivre - à nouveau - des stages de réanimation médicale. Toutefois, contrairement aux jeunes carabins, les reconvertis auront le droit de bénéficier d’aménagements de leur formation, mais ne pourront réaliser moins de la moitié de la durée minimale de l'internat de la nouvelle spécialité.
Espoirs douchés
À trois semaines de la clôture des candidatures pour la prochaine rentrée, l'annonce de la ventilation des postes a douché les espoirs, car, dans le détail, les rares places sont saupoudrées dans toute la France. En outre, aucun poste n’est ouvert en ophtalmologie, gynécologie-obstétrique ou encore en urologie. « Nous sommes très surpris », réagit le Dr Alexis Lepetit, membre du bureau Jeunes Médecins, qui a participé aux consultations sur le sujet avec la direction générale de l’offre de soin (DGOS). « Deux postes seulement de chirurgiens sur toute la France, dix postes de gériatrie… C’est aberrant », poursuit le psychiatre qui espère la publication rapide d'un arrêté rectificatif. La surprise est d’autant plus forte qu’à l’hiver dernier, l’observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) avait demandé aux UFR de médecine de faire remonter les desiderata de la profession.
« Lors des comités de pilotages, la grande majorité des conseils nationaux professionnels ont demandé que soient pris en compte à la fois les besoins de santé du territoire, mais aussi les souhaits des médecins qui veulent changer d’orientation », confirme le Pr Philippe Orcel, vice-président de la Fédération des spécialités médicales (FSM) qui a participé depuis 2021 au comité de pilotage du deuxième DES. « Il est essentiel de faire remonter les impératifs personnels des médecins, martèle le rhumatologue. Un chirurgien qui a été accidenté ne peut plus opérer, quels que soient les besoins de santé publique », justifie encore le Pr Orcel, qui cite également le cas de praticiens « en situation d’épuisement professionnel ».
Avec un contingent aussi famélique, « concrètement ça ne va concerner personne », déplore, amère, la présidente de l’Isni. Olivia Fraigneau s’inquiète surtout d’une procédure « lourde et anxiogène », alors « que l’on nous avait promis la révolution de la réorientation ». « On va juste continuer à enfermer les médecins 40 ans dans la même carrière, je ne comprends pas… », confie-t-elle.
Congé de reconversion
À sept mois du lancement de la première promo, des interrogations subsistent aussi quant au statut et à la rémunération des confrères qui changent de voie. Seront-ils payés comme des internes, des docteurs juniors ou des PH ? Pour l’heure, aucun texte n’a été encore publié sur le sujet. Pour les praticiens hospitaliers et les praticiens contractuels, le ministère de la Santé étudie la possibilité de mettre en place un « congé de reconversion », avec une rémunération mensuelle égale à 85 % de leur salaire brut, rapporte le Dr Lepetit.
Quant aux libéraux, « nous n’avons pas été sollicités sur le sujet », indique le Dr Bruno Perrouty, président des spécialistes CSMF. « Redevenir interne va être compliqué car cela nécessite que le médecin diminue son train de vie d'un seul coup », constate-t-il. Mais « si un libéral souhaite exercer une autre spécialité, il doit se donner les moyens pour la financer. Ce n'est pas à l'État de payer », pense le neurologue. Le Dr Perrouty anticipe donc une réforme qui concernera « en priorité les hospitaliers notamment plusieurs spécialités en grande difficulté comme la pédopsychiatrie ou la psychiatrie générale ».
Autre anicroche qui pourrait agacer les confrères : la DGOS aurait évoqué la possibilité de conditionner l’octroi de ce congé de reconversion à une installation en zone sous-dense, voire d'une obligation d'exercice en secteur 1. « Ce sont des points encore en discussion mais nous sommes farouchement opposés à toute forme de coercition », martèle Dr Lepetit.
Fin de la VAE
Il faut savoir que jusqu’alors, pour changer de spécialité, les confrères avaient la possibilité de faire une demande de qualification de spécialité différente auprès de l’Ordre. Une démarche fastidieuse, à justifier dûment, et qui « demande une véritable motivation ainsi qu’un fort investissement personnel », de l’aveu même de l’Ordre. « Cette commission existera toujours », souligne le Dr Henri Foulques, président de la section « Formation et compétences médicales » au Cnom. En 2022, ce sont ainsi 968 praticiens inscrits au tableau de l'Ordre qui ont demandé une nouvelle qualification. Environ les deux tiers ont été accordées dont 216 en médecine vasculaire, 120 en médecine et santé au travail, 44 en allergologie 43 en médecine intensive réanimation, 40 en médecine générale et 23 en médecine d'urgence.
En revanche la procédure de validation des acquis de l’expérience ordinale (VAE) - qui permettait aux médecins d’obtenir une extension de leur droit d’exercice dans une spécialité non qualifiante - a pris fin en décembre 2021. « La procédure est pour l’instant stoppée car il fallait nommer de nouveaux membres et le gouvernement ne l’a jamais fait, mais nous allons remettre ça en route », assure le Dr Foulques.
Un représentant de l’Ordre départemental siégera au sein des commissions de spécialités pour l’étude des candidatures au deuxième DES. « L’Ordre aura un rôle très important d'entraide pour épauler les praticiens en difficulté, en incapacité physique mais aussi psychologique », estime Henri Foulques. L'ordinal salue d'ailleurs cette évolution, « une bouffée d’oxygène » pour les confrères. Mais une fois engagés dans ce changement de carrière, les médecins devront faire une croix sur leur spécialité initiale, au profit de la seconde.
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