Le Quotidien du Médecin évoquait récemment (notre édition du 29 octobre 2018 n° 9698) les solutions des médecins au problème des arrêts de travail et de leurs dérives. Mais il y en a peut-être d'autres… Sensibilisé à cette question depuis bien longtemps, j'ai essayé de réfléchir il y a au moins dix ans, à l'époque où je participais avec mon syndicat (CSMF 09) aux réunions de concertation avec la CPAM de l'Ariège, à des moyens d'endiguer les excès autres que les sanctions contre les prescripteurs considérés comme abusifs ou les référentiels de prescription.
Un autre médecin pour valider la prescription
Pourquoi en effet ne pas imaginer un système où les choses seraient un peu moins « automatiques » ? En dehors des cas incontestables ou manifestement graves (pathologies lourdes, problèmes chirurgicaux, délais de consolidation incompressibles…) les médecins, au moins au-delà d’une certaine durée, ne prescriraient plus d’arrêts de travail.
Ils ne feraient que les proposer, puis ces propositions seraient ensuite validées par un autre médecin. Non pas un médecin des services médicaux des caisses comme on l’entend souvent suggérer (car ceux-ci risqueraient de ne pas être parfaitement objectifs), mais un médecin tiers, qui n’aurait pas avec le malade de relation de clientèle et qui serait recruté parmi les médecins préretraités par exemple, ou des confrères qu’une invalidité partielle empêche d’exercer normalement, ou encore des médecins du même département mais de la ville voisine désignés par un jeu conventionnel tels les médecins qui siègent actuellement dans les CMPL. Ces praticiens seraient rémunérés à la vacation par les Caisses qui devraient à terme y trouver leur compte. Ceci compliquerait certes le circuit du malade mais permettrait d’éviter les arrêts excessifs.
Bien sûr on peut aider à l’appréciation des durées d’arrêt de travail par des référentiels, mais il ne peut y avoir de barème standard : un chanteur ou un professeur peut relever d’un arrêt de travail pour une simple extinction de voix, alors qu’on n’arrêtera pas aussi longtemps pour des lombalgies un employé de bureau qu’un ouvrier du bâtiment, ou un bûcheron.
Impliquer aussi des professionnels du social
Et pourquoi les médecins seraient-ils seuls à délivrer des arrêts de travail ? Puisqu’on nous dit que certains arrêts sont socialement justifiés plus que médicalement, pourquoi ne pas « mettre dans le bain » également d’autres professionnels médicaux comme les sages-femmes, les travailleurs sociaux (médecins du travail), ou même non médicaux : chefs du personnel, DRH, certains magistrats (juges de des affaires familiales), qui après tout sont aussi bien, voire mieux placés que les médecins pour apprécier une situation de détresse ?
C’est vrai que les médecins sont parfois amenés à décider des arrêts de travail à la suite d’une séparation conjugale, d’un décès, d’un conflit familial, alors qu’il n’y a pas, pour l’intéressé, de vraie pathologie en cause. Depuis que les médecins sont obligés de mentionner sur les imprimés d’arrêt-maladie le motif de l’arrêt (sauf pour les fonctionnaires, tiens pourquoi ?), on baptise ça pudiquement ou hypocritement « dépression réactionnelle ». Là, le système oblige le médecin à des contorsions discutables.
Il faudrait aussi prendre en compte les mutations de notre société. Ainsi, aujourd’hui, 70 % des femmes travaillent. Souvent mères de famille, elles ont, c’est bien connu, des journées de travail doubles. Et quand une mère de famille qui travaille vient nous consulter à bout de forces, qu'est-ce que le médecin arrête ? La vie professionnelle bien sûr, alors que dans certains cas c’est plutôt du surmenage familial qu’il faudrait la protéger.
Les patrons doivent aussi être responsabilisés
Une dernière chose enfin. Toutes les entreprises ne connaissent pas le même taux d’arrêts de travail : il doit bien y avoir une explication. L’atmosphère qui règne dans certaines sociétés entraîne une démotivation des salariés qui feront moins d’efforts que dans d’autres. Bien des chefs d’entreprise, dans les PME notamment, ne savent se faire respecter qu’en se mettant en colère… Il y a, là aussi, des choses à inventer, et au-delà des primes de non-absentéisme qui se heurteraient à une levée de boucliers des syndicats, on peut imaginer de privilégier les entreprises qui entretiennent un climat favorable à la présence au travail. Le système des accidents du travail incite fortement les employeurs à réduire la fréquence des accidents du travail en développant la sécurité dans leur entreprise : pourquoi ne pas faire de même avec les arrêts de maladie ? Après tout, c’est aussi aux patrons de savoir retenir les gens dans leur entreprise !
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