Peuvent-ils s'entendre en moins de trois semaines ? Alors que les négociations entre l'Assurance-maladie et les six syndicats de médecins libéraux (CSMF, MG France, Avenir Spé-Le Bloc, UFML, FMF et SML) sont entrées dans le dur, les propositions tarifaires mises sur la table par la caisse ont abouti, à ce stade, à un sentiment général d'exaspération, éloignant l'hypothèse d'un compromis majoritaire.
« Marque de mépris » pour MG France, « provocation » pour le SML, « humiliant » selon la CSMF, « insulte » aux yeux de la FMF : les leaders syndicaux n'avaient pas de mots assez durs pour qualifier ces derniers jours la proposition de la caisse d'augmenter de 1,50 euro le montant des consultations de base des médecins libéraux (généralistes et spécialistes). La Cnam a eu beau préciser que les discussions se poursuivaient sur les tarifs supérieurs de consultation (niveau 2, niveau 3) accessibles sous réserve d'un « contrat d'engagement territorial » (CET), c'est le pessimisme qui domine aujourd'hui. « On se demande si le gouvernement n'a pas déjà fait le choix du règlement arbitral, c'est-à-dire de l'échec des négociations », soupirait le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, à l'issue de sa réunion bilatérale en fin de semaine dernière. Une hypothèse aussi ouvertement envisagée par MG France.
Marqueur
Pour la Cnam, au moins trois facteurs compliquent fortement la recherche d'un accord. Le contexte est marqué par la montée en puissance, ces dernières semaines, de praticiens coordonnés au sein du réseau « Médecins pour demain » autour du slogan radical d'une « consultation à 50 euros », marqueur repris par trois syndicats représentatifs (UFML, SML, FMF) certes sous des modalités diverses : tarif intégrant tous les forfaits actuels, progression par étapes jusqu'en 2027, acte incluant un volet prévention, etc. Même si le directeur de la Cnam, Thomas Fatôme, ne s'est pas privé d'épingler les « revendications extravagantes, voire indécentes » de certains, le climat de surenchère pèse sur les discussions et éclipse les autres enjeux.
Deuxièmement, ce round se déroule dans un contexte financier contraint avec une augmentation de l'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam) fixé à +2,9 % pour les soins de ville en 2023 dans le budget de la Sécu, deux fois moins que de l'inflation actuelle. L'équation est presque insoluble alors que les libéraux attendent depuis deux ans le « Ségur de la médecine de ville », autrement dit des investissements massifs leur permettant d'embaucher du personnel et de réorganiser la première ligne de soins. Un prérequis obligatoire pour accueillir davantage de patients, alors que l'exécutif exige que les six millions de Français qui en sont privés puissent trouver un médecin traitant (en commençant par les 650 000 en ALD). Cette semaine, une rallonge de 600 millions d'euros fléchée essentiellement vers l'hôpital (en particulier pour revaloriser le travail de nuit) a été décidée, à la faveur d'un amendement du gouvernement au budget de la Sécu rectificatif 2023 qui est le véhicule législatif de la réforme des retraites. Ce qui a aiguisé encore davantage l'appétit des libéraux, d'autant que le sous-objectif soins de ville serait, lui, majoré de seulement 150 millions (quatre fois moins) « afin d’accompagner les négociations conventionnelles et notamment la mise en place du contrat d’engagement territorial », lit-on dans l'exposé des motifs.
Chiffons rouges
Enfin, l'agenda politique ajoute aux crispations. Le 6 janvier, les praticiens libéraux ont d'abord retenu des vœux d'Emmanuel Macron un « pacte de droits et devoirs ». Dans un discours jugé « hospitalo-centré », le Président avait épinglé à demi-mot ceux qui abandonnent la permanence des soins. « On ne peut pas avoir des médecins qui s’épuisent à prendre des gardes tous les week-ends, et avoir la même approche avec ceux qui font un autre choix de vie, ne prennent plus un seul patient », avait cadré le chef de l’État. Quelques jours plus tard, lors de ses propres vœux aux forces vives de la santé, François Braun a invité à dépasser les intérêts « corporatistes et sectoriels ». Sur le front parlementaire surtout, la profession voit surgir, à gauche comme à droite, les projets coercitifs proposant un encadrement des installations ou des contraintes en matière de permanence des soins, autant de chiffons rouges.
La cerise sur le gâteau est la proposition de loi (PPL) en discussion de la députée et rhumatologue Stéphanie Rist, portée par la majorité présidentielle, qui ouvre les accès directs à plusieurs professions paramédicales (IPA, kinés, orthophonistes). « Ces textes en discussion au Parlement vont accentuer le découragement des généralistes, dans un système pervers où les plateformes et les offres intégrées des groupes financiers sont prêtes à prendre la relève », alerte MG France.
Les syndicats de praticiens libéraux, rejoints par plusieurs organisations de juniors et d'internes (Jeunes médecins, Reagjir et l'Isnar-IMG) appellent leurs troupes à manifester à nouveau à Paris, le 14 février, lors de l'examen de la PPL Rist au Sénat. Autre signe du ras-le-bol, l'UFML-S a prévu d'organiser de son côté des « assises du déconventionnement » début mars.
Le règlement arbitral, pari risqué
Mais même si le contexte semble lourd, les habitués des négociations savent que c'est la dernière ligne droite qui est décisive. Les syndicats mesurent aussi qu'un règlement arbitral, texte conventionnel a minima confié à l'énarque et Igas Annick Morel en cas d'impasse, serait sans doute peu favorable aux médecins libéraux et suspendrait la politique contractuelle dans toutes les commissions paritaires locales. Dans ce contexte, « certains espèrent un accord avec une consultation de base à 30 euros », analyse un connaisseur du secteur.
Au-delà de cette revalorisation, qui sera arbitrée au plus haut niveau de l'État, la caisse promet de son côté un investissement « significatif », dans le cadre du mix financier de la médecine libérale (paiement à l'acte, forfait patientèle, forfait structure, financement des assistants médicaux et rémunération sur objectifs de santé publique). Le message est clair : la négociation ne se résume plus, comme hier, à la valeur de la consultation de référence. Suffisant pour trouver un accord ?
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre