Une marée blanche. C'est sans aucun doute une des plus grosses manifestations de médecins qui s'est déroulée mardi dernier à Paris entre les Invalides, à deux pas du ministère de la Santé, et le Panthéon, proche du Sénat où était examinée ce même jour la proposition de loi Rist sur l'accès direct aux paramédicaux, texte qui a cristallisé la colère de la profession.
Entre 4 500 et 10 000 praticiens libéraux de tous les âges ont ainsi battu le pavé dans une ambiance festive, avec une très forte représentation de la médecine générale, même si quelques hospitaliers avaient aussi fait le déplacement à l'appel des syndicats de PH (Amuf, APH, Alliance Hôpital). Dans le carré de tête, on trouvait côte à côte – chose rare – les leaders des six syndicats médicaux représentatifs (CSMF, MG France, SML, FMF, UFML-S et Avenir Spé-Le Bloc) mais aussi les juniors (Jeunes médecins, Reagjir, Isni et Isnar-IMG), l'association « Médecins pour demain » (lire page 17), la fédération SOS, le Collège de la médecine générale (CMG) et même l'Ordre, une première de mémoire de conseiller ordinal.
Non aux officiers de santé
« Tous unis face au mépris », clamait la banderole principale tenue par les têtes de file de la contestation. Une grande partie des slogans visaient explicitement la proposition de loi Rist qui, notamment, ouvre l'accès direct à certains paramédicaux (infirmières de pratique avancée, kinés et orthophonistes). « Non, non, non aux officiers de santé », « Macron, ta loi on n'en veut pas », scandaient les autres.
Bien qu'unitaire, la manifestation a traduit quelques nuances entre les organisations, toutes ne plaçant pas la ligne rouge au même endroit. « Les conseillers ordinaux ont décidé de manière unanime de participer à ce mouvement, a raconté le Dr René-Pierre Labarrière, président de la section exercice professionnel de l'Ordre des médecins. C'est à cause de la loi Rist qui ouvre l'accès direct aux paramédicaux de manière déraisonnable».
Pour le Dr Jean-Paul Hamon, président d'honneur de la FMF, le mot d'ordre était clair : le retrait pur et simple de la PPL Rist. « Ce texte a eu un impact terrible sur les jeunes confrères », déplorait aussi la Dr Margot Bayart, vice-présidente de MG France. « Dans le TGV, des internes de médecine générale m'ont confié regretter d'avoir choisi cette spécialité », confiait, attristée, la Dr Élise Fraih, présidente de Reagjir, venue de Strasbourg, choquée par l'idée que l'on puisse se passer du médecin traitant. « Nous regrettons que les compétences des paramédicaux évoluent sans visibilité », abondait à ses côtés, le Pr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale.
Médecins épuisés
« Non à une médecine à deux vitesses » ou « Médecins épuisés, patients mal soignés » : les pancartes brandies trahissent à la fois la crise identitaire de la médecine générale, le rejet de réformes imposées sur l'accès aux soins et les sujets de crispation dans le cadre des négociations conventionnelles.
Cette fois, les revendications tarifaires se sont faites plus discrètes par rapport aux précédentes manifestations de décembre et janvier. Ainsi, la consultation à 50 euros, mot d'ordre radical lancé initialement par le collectif « Médecins pour demain », a été mise de côté même si les syndicats ont maintenu la pression sur les honoraires. « La hausse de 1,50 euro de la consultation hors engagement territorial a été jugée comme une insulte par la profession, résume le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. Mais tant que la 90e minute n'a pas été sifflée, le match n'est pas fini ». « Les négociations ne pourront pas avancer tant que le tarif de base de la consultation à 30 euros sans condition ne sera pas mis sur la table », résume la Dr Margot Bayart.
Du côté des chirurgiens libéraux, même si ses collègues étaient peu présents dans le cortège – car il est compliqué de stopper l'activité opératoire –, le Dr Philippe Cuq, président de l'UCDF (membre du syndicat Le Bloc), soulignait que son organisation ne signerait pas de convention sans revalorisation significative des actes chirurgicaux.
Union sacrée
Bien que le député Horizons Frédéric Valletoux (lire ci-dessous) ait retiré de son côté la proposition de loi coercitive de son groupe, les craintes sur la liberté d'installation demeurent également dans les esprits, en particulier chez les jeunes. « Le contrat d'engagement territorial envisagé dans la convention donne l’impression que les médecins se tournent les pouces depuis des années et qu'il faut les contraindre », dénonce Raphaël Presneau, président de l'Isnar-IMG (internes de médecine générale). « C’est un mouvement intersyndical historique, cela fait des années qu’on n’avait pas vu ça, renchérit Olivia Fraigneau, son homologue de l'Isni. Pour nous, c’est aussi l’occasion de mettre en lumière à nouveau la dégradation des conditions de travail des internes. »
Alors qu'il lance un train ambitieux de réformes santé, le gouvernement se retrouve ainsi face à une réalité : rarement une manifestation aura ainsi fédéré toutes les générations médicales.
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