La colère contre l'émission « Cash Investigation » intitulée « Liberté, santé, inégalités », diffusée jeudi dernier sur France 2, ne retombe pas. Après le tollé provoqué sur la liberté d'installation, c'est au tour du syndicat national des néphrologues libéraux (SNL) de monter au créneau contre le troisième volet du documentaire consacré à la dialyse et aux greffes. Estimant que la profession est injustement accusée d’escroquerie et de refus de greffe, le syndicat annonce avoir demandé un droit de réponse à France 2 et s'interroge sur une plainte contre X pour diffamation.
Dans ce reportage, le journaliste s'est appuyé sur le témoignage anonyme d'un médecin néphrologue souhaitant dénoncer une dérive de la pratique qui rapporterait gros à ces spécialistes. Muni d'une caméra cachée, il a filmé une journée de travail classique au sein d'un service de dialyse.
Une consultation en 16 secondes
On découvre la façon dont le médecin se fait payer l'acte de surveillance d'une séance de la dialyse, censé durer vingt-cinq minutes, 40 euros pour les patients les plus lourds et 30 euros pour les patients moins lourds. Durant la journée de tournage, le praticien voit 100 patients, selon l’émission, avec des durées allant de 16 secondes à un peu plus de 7 minutes. Au total, il empochera 4 000 euros bruts pour 8 heures de surveillance.
Pis, l'Assurance-maladie contrôlerait peu. Pour preuve, en cinq ans, sur les 500 néphrologues libéraux en exercice, seuls 34 ont été contrôlés, un chiffre communiqué par la Cnam. L’enquête poursuit en montrant aussi des dysfonctionnements : médecins préférant dialyser plutôt que greffer, coût énorme pour les finances publiques… Ces dérives de la prise en charge de l’insuffisance rénale ont déjà été pointées à plusieurs reprises, notamment dans un rapport interne de la Cour des comptes datant de 2015.
Interrogée par Élise Lucet, Nathalie Mesny, présidente de l'association Renaloo (association de patients atteints de maladies rénales) déplore dans l'émission une forme « d'escroquerie », « une rente de situation ». « C'est révoltant car ce type de pratique discrédite toute une profession », a-t-elle ajouté. « Parmi l’ensemble des néphrologues, salariés ou libéraux, l’immense majorité est exemplaire, entièrement dévouée aux patients et à une spécialité conjuguant haute technicité et sollicitude » a, en outre, fait savoir l'association dans un communiqué après la diffusion de l'émission.
Une rente de situation
« C'est une émission à sens unique, sans aucune contradiction, avec des raccourcis et des approximations », déclare « au Quotidien » le Dr José Brasseur, président du SNL. Première approximation selon le spécialiste, l'acte appelé « surveillance d’une séance de dialyse » est pris comme un acte de consultation avec une durée fixée par la Sécu. Il s'agit d’un forfait global par patient et par dialyse incluant « ce qui se passe en amont de la dialyse (prescription, mise à jour du dossier…), au moment de la dialyse pendant les 4 ou 5 heures de traitement (présence médicale continue en salle de dialyse obligatoire par la réglementation, traitement des événements médicaux voire des urgences pendant la séance…) et en aval (gestion du dossier notamment de greffe, interprétation et prescription des résultats biologiques, de la qualité de la dialyse, modification de la prescription de dialyse, surveillance de l’abord vasculaire, lettre aux correspondants médicaux…) », détaille le syndicat. Par ailleurs, cet acte comprend aussi « une astreinte médicale en dehors des plages d’ouverture du service, nuit dimanche et jours fériés », prévue par la réglementation.
Puis, selon le Dr Brasseur, « dire que les néphrologues jouissent d'une rente de situation et ne veulent rien faire est aussi excessif ». « Nous participons à des travaux sur la nomenclature des actes techniques, la réforme des autorisations des centres de dialyse et la future convention médicale. Tout cela va impacter la rémunération des néphrologues », ajoute-t-il.
Greffe à la place de la dialyse
Le syndicat dénonce aussi l'accusation grave selon laquelle les médecins préféreraient garder en dialyse les patients au lieu de les greffer pour des raisons financières. « Là aussi on n'a interrogé que l'association Renaloo qui vit dans l'illusion qu'on peut transplanter tout le monde », avance le spécialiste. Le syndicat regrette en tout cas que ce documentaire desserve « la cause qu’il croit défendre en altérant la confiance des patients, des équipes soignantes, du public ». « Oui un effort de chacun va probablement permettre d'augmenter le nombre de transplantations à 5 000. Mais tout le monde ne pourra pas en bénéficier », affirme le néphrologue. Il justifie la stagnation du nombre de greffe à la « pénurie de greffon » et « aux difficultés de disposer d’un donneur vivant ».
Face à ces charges, les néphrologues ont reçu le soutien de la Fédération Reinomed qui regroupe les représentants de 24 établissements de santé privés non lucratifs spécialisés dans la prévention, l’accompagnement et le traitement des maladies rénales chroniques. « La priorité doit bien évidemment être donnée à la greffe quand elle est possible, nous en sommes convaincus. Mais, il est primordial de rappeler que l’une des principales raisons de la difficulté d’accès à la greffe est le manque de greffons », assure-t-elle. De plus, « il y aurait très peu de greffes si on ne pratiquait pas la dialyse en amont qui permet de maintenir le patient dans de « bonnes » conditions dans l’attente de la validation du dossier de greffe ou dans l’attente du greffon ».
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