Le Fonds de réserves de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), évalué à 7 milliards d'euros avant la crise sanitaire et constitué au fil des années par les cotisations des médecins libéraux, serait-il à nouveau menacé de tomber entre les mains de l'État ? C'est ce que craint la Fédération des médecins de France (FMF), qui dénonce dans un communiqué publié ce mardi une « nouvelle tentative de "hold-up" » du gouvernement, en référence aux précédents débats sur l'avenir de ces réserves dans le cadre de la réforme des retraites. Le syndicat du Dr Jean-Paul Hamon met notamment en cause l'article 3 du projet de loi « portant diverses dispositions urgentes pour faire face à la crise de Covid-19 », déposé par le gouvernement le 7 mai. L'une des 36 habilitations à légiférer par ordonnance inscrite dans ce texte prévoit de centraliser au Trésor public les trésoreries des organismes publics privés chargés d’une mission de service public, dont fait partie la Carmf, afin de réduire l’endettement de l’État.
« Tentative de vol » selon la Carmf
La FMF n'est pas la seule à s'inquiéter de cette mesure et le Dr Thierry Lardenois, président de la Carmf, dénonce une « tentative de vol » de ces réserves. « Nous nous sommes battus au mois de janvier, lors des débats sur la réforme des retraites, pour empêcher l’état de faire collecter nos cotisations par l’Urssaf et on nous sort à nouveau un texte qui permettra à l'État de puiser dans ces réserves, c'est une aberration », affirme-t-il au Généraliste.
Le Dr Lardenois fustige également l'une des habilitations formulées à l'Article 1 autorisant l'instance de gouvernance des régimes de retraite complémentaire « des professions artisanales et commerciales disposant de réserves financières en partie liquides (...) à utiliser ces réserves pour financer une aide financière exceptionnelle apportée à ces entrepreneurs (...) ». Là encore, selon le patron de la Carmf, le gouvernement « ouvre la boîte de Pandore ». « Cet article permet ce que la loi ne permet pas actuellement, c’est-à-dire d’utiliser les provisions techniques. Or, ces dernières constituent un bien inaliénable. Elles ont été constituées pour payer une retraite à ceux qui en ont fait l’avance, pas pour qu'on les utilise dès qu'on a un petit ennui », estime-t-il. Cette disposition doit notamment permettre à la caisse de retraite des chirurgiens-dentistes (CARCDSF) de pouvoir verser les 4 500 euros qu'elle a promis à ses cotisants dont l'activité a été totalement suspendue pendant le confinement. Sans cette loi, le droit ne permet pas en l'état à la CARCDSF de puiser dans ses réserves pour financer cette aide. Mais cet ajustement législatif n'est pas sans danger pour l'avenir des réserves selon la Carmf.
Fin de non-recevoir à la demande d'indemnisation de la CSMF
Ainsi, Dr Lardenois répond à la demande formulée par le président de la CSMF le Dr Jean-Paul Ortiz, qui réclame depuis la semaine passée à la Carmf une indemnité identique pour les médecins libéraux : « C'est une revendication démagogique ouvrant la porte à l'État pour piquer les réserves ». De son côté, le président de la Conf ne fait pas la même interprétation de ce projet de loi : « dans le cadre des mesures d'exception, l'État sera autorisé à utiliser des fonds détenus par différents organismes et je m'en suis immédiatement inquiété. On m'a toutefois assuré au niveau du cabinet de Monsieur Véran que cela ne concernerait pas nos caisses de retraite. Nous y serons vigilants. Contacté, le cabinet du ministre de la Santé n'a pas encore répondu aux sollicitations du Généraliste. Mais le président de la CSMF persiste et signe : « par contre, la même loi donne la possibilité aux caisses d'utiliser des réserves qu'elles ont constituées pour aider les professions qu'elles couvrent. Elle autorise donc la Carmf à faire ce que la caisse des dentistes a fait et à verser une indemnité aux médecins libéraux », martèle le Dr Ortiz.
La Carmf ne semble toutefois pas prête à honorer cette demande d'indemnité supplémentaire de la CSMF et le climat semble très tendu entre le syndicat et la caisse. « Comment peut-on être responsable syndical de haut niveau et sortir des inepties pareilles ? commente le Dr Lardenois. Les réserves étaient certes à 7 milliards avant la crise mais elles ont considérablement fondu. La bourse a perdu 40 %, donc les réserves également. Nous ne pouvons pas donner de l’argent déprécié, n’importe quel financier conseillerait d'attendre une situation économique plus favorable. »
L'examen du projet de loi « portant diverses dispositions urgentes pour faire face à la crise de Covid-19 » a débuté hier lundi 11 mai en commission spéciale à l'Assemblée nationale et doit se poursuivre toute la semaine.
Aide médicale d’État (AME) : dans un centre de PMI en première ligne, deux sénateurs prennent le pouls du terrain
Un partenariat Doctolib/Afflelou ? Les ophtalmos libéraux ne font pas « tchin-tchin »
Enquête sur les restes à charge « invisibles » : 1 500 euros par an et par personne, alerte France Assos Santé
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins