Les jeunes généralistes redoutent d'être les grands perdants de la réforme des retraites. Une table ronde organisée lors des rencontres du syndicat ReAGJIR (jeunes installés et remplaçants) le 8 novembre, en présence du président de la Carmf, le Dr Thierry Lardenois, et du Haut-commissaire aux retraites Jean-Paul Delevoye (en vidéo), a permis de mettre en lumière les inquiétudes des praticiens récemment diplômés sur leurs futures pensions. Un peu perdus face au système complexe de leur régime autonome, les jeunes généralistes ont fait part de leurs interrogations, en particulier pour ceux ayant choisi d'exercer à temps partiel ou ayant de faibles revenus.
Crainte d'une retraite précaire pour les bas revenus
« En voyant les projections de la Carmf, je suis en train de me dire que les choix que je fais aujourd'hui pour préserver ma santé et garder mon engagement associatif ne sont peut-être pas les bons et vont peut-être me rendre précaire un jour », s'inquiète une jeune généraliste du Nord. Selon ses projections internes, la Carmf estime en effet que la pension moyenne des médecins, actuellement de 2 664 €, passerait à 1 790 € (à un seuil beaucoup moins élevé que les simulations du gouvernement). En faisant part de ses angoisses, les jeunes généralistes interpellent aussi le président de la Carmf : « Est-ce que vous intégrez dans votre communication et vos projections les médecins avec de petits revenus ? », ont lancé plusieurs médecins dans l'assemblée.
En réponse, le Dr Lardenois a présenté ses excuses pour « ne pas être venu voir plus tôt les syndicats de jeunes ». « Je n'ai pas percuté, or les syndicats seniors que j'ai rencontrés sont dans la négociation ad personam », a-t-il confié. Le patron de la Carmf a ainsi invité les représentants de ReAGJIR et des autres syndicats jeunes à se rendre à la Carmf le 22 novembre prochain pour évoquer leurs aspirations et proposer l'expertise de la caisse afin d'effectuer des projections statistiques. « L'évolution du système de retraites vous rendra précaires. Actuellement, en dessous d'un plafond de la sécu (PASS - environ 40 000 €, ndlr), le taux de remplacement est de 70 %. Cela veut dire que votre argent cotisé vaut plus que l'argent de ceux qui gagnent plus que vous. Ce taux sera bien inférieur dans le futur régime et vous serez donc davantage précaires », assure le Dr Lardenois.
Prise en compte des changements de carrière et de l'exercice mixte
L'ancienne présidente de ReAGJIR, le Dr Sophie Augros, par ailleurs déléguée à l'accès aux soins auprès d'Agnès Buzyn, pointe du doigt le manque de visibilité du système actuel pour les jeunes médecins. « Comment s'adapter aux attentes de la nouvelle génération, qui ne veut plus exercer toute sa vie dans un même cabinet, qui aspire à pouvoir faire des métiers différents tout au long de sa carrière ? Nous avons cotisé au régime salarié lorsque nous étions externes, puis lorsque nous étions internes, désormais nous cotisons à la Carmf. La manière de récupérer les cotisations n'est pas lisible », déplore-t-elle. Un autre ancien président de ReAGJIR, le Dr Yannick Schmitt, rejoint ce raisonnement pour les médecins qui choisiront eux une activité mixte. « Pour ces praticiens, les cotisations ne sont pas toutes proportionnelles. Il faut cotiser dans plusieurs caisses et il y a un manque de visibilité dans le système actuel. Le régime universel paraît donc assez séduisant mais on manque de projections chiffrées », ajoute-t-il.
Les jeunes pas auditionnés par le Haut-commissariat
Pour le généraliste alsacien, « le filet de sécurité du taux de prestation prévu dans la réforme à hauteur de 85 % du SMIC », n'est pas suffisant. « Quand on a fait de longues études et qu'on est médecin, on s'attend à avoir un peu plus que cela à la retraite même si on a eu un parcours compliqué ou des difficultés pendant sa carrière », estime-t-il. L'ex-président de ReAGJIR a également rappelé avoir sollicité plusieurs fois le Haut-commissariat à la réforme durant son mandat achevé en juin dernier, sans obtenir de réponse ni de rendez-vous. « Peut-être était-ce planifié de la part du gouvernement de ne pas poser la question aux jeunes car ils vont y perdre avec la réforme ? », s'interroge-t-il.
Le patron de la Carmf réaffirme que les jeunes médecins ont tout à perdre avec la réforme. « Je vais très loin et je me demande s'il n'y a pas une volonté du gouvernement de faire mourir la médecine libérale », assène-t-il. Le Dr Schmitt se dit également que les médecins seront « du côté des perdants » : « Certes, certaines autres catégories professionnelles vont y gagner mais sommes nous prêts à ce sacrifice-là ? », conclut-il. Alors que le collectif SOS retraites (dont font partie les syndicats FMF et UFML-S) a appelé à la fermeture des cabinets le lundi 3 février prochain, après une première journée de mobilisations le 16 novembre, le syndicat ReAGJIR a pour sa part affirmé lors de son congrès réfléchir encore à la manière de faire entendre sa voix auprès du Haut-commissaire.
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