Deux mois après les conclusions du Grenelle des violences faites aux femmes, l’assouplissement du secret médical pour permettre aux professionnels de santé de signaler plus facilement les « cas d'urgence absolue où il existe un risque sérieux de renouvellement de violence » divise la communauté médicale…
« Ne touchez pas au secret médical », s’était exclamé le Collège de la médecine générale sitôt l’annonce d’une modification de l’article 226-14 du code pénal. Trois semaines plus tard, l’Ordre des médecins s’était lui positionné en faveur de cette évolution.
« Un signalement ne présume pas la culpabilité »
D’après une enquête* menée sur legeneraliste.fr, la question divise vraiment les médecins de terrain. En effet, 31 % des 663 répondants estiment qu’il faut assouplir le secret médical pour permettre aux praticiens de signaler les violences conjugales. Ils sont 36 % à penser le contraire et 33 % à juger que « c’est plus compliqué que ça » ! Ces résultats témoignent combien la conduite à tenir sur ce sujet sensible est loin de faire consensus.
Pour le Dr Pierre C., cet assouplissement est nécessaire pour les cas où le praticien « considère que la femme est sous emprise et dans un état psychique de vulnérabilité ». « La difficulté étant de définir cet état », relève-t-il néanmoins. « Qu’est-ce ce qui empêcherait qu'un signalement conduise à une enquête sociale rapide ? Et comme pour la maltraitante infantile, un signalement ne présume pas de la culpabilité, poursuit-il. Négocier une hospitalisation de la femme ne permettrait-il pas, comme dans le cas des enfants battus, de la mettre à l'abri et de diligenter une enquête après signalement par l'hôpital ? ».
La peur d'être poursuivi
Pour le Dr Dominique B., il faudrait une « condition absolue » à pareil assouplissement : que les médecins « ne puissent être poursuivis pour dénonciation calomnieuse après un signalement ». « Et comme ce ne sera jamais le cas, c’est niet », tranche ce confrère. Le Dr Anne Y. juge elle aussi que les risques sont trop importants pour le praticien qui serait à l’initiative d’un signalement. « Entre le risque de représailles du conjoint violent au cabinet du médecin surexposé, le risque de poursuite judiciaire pour dénonciation calomnieuse, et celui, non des moindres, de poursuite ordinale pour le même motif, la tentation d'ouvrir le parachute en se tenant à un certificat de coups et blessures en bonne et due forme, inattaquable lui, l'emportera… », écrit-elle. « Il faut arrêter de faire des docteurs des délateurs, laissons la législation comme elle est », assène le Dr Ali F.
Pour d’autres praticiens, il s’agit également de protéger la patiente. « Cela risque d'isoler encore plus les femmes victimes de violence mais qui décident de ne pas porter plainte, affirme le Dr M. Elles ne pousseront pas la porte du cabinet…et ne parleront pas. » Le Dr Gérard B., médecin retraité qui assure avoir rédigé un « certificat de constatations des coups et blessures » à chacune de ses patientes se plaignant d’avoir été agressée et leur avoir « demandé de se rendre en gendarmerie pour déposer plainte », suggère quant à lui que des membres de la famille soient alertés, avant de lever le secret médical. Cela permettrait selon lui que ceux-ci « s’occupent des démarches ». « Le secret médical est une relation de confiance entre le patient et son médecin c'est au patient de prendre la décision de libérer le médecin du secret ; le médecin peut proposer au patient victime d'être libéré de ce secret », écrit le Dr Jean-Jacques L.
Finalement, la réponse du Dr D.S. résume bien l’embarras de la profession face à cette question : « Voici la réponse du normand que je ne suis pas : Oui, dans certains cas. Non, dans d'autres. »
* Enquête en ligne menée du 26 novembre 2019 au 20 janvier 2020 à laquelle ont répondu 663 praticiens.
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