« Le réseau social ne peut pas être une zone de non droit », clame le Dr Pierre-Henri Mailhes. Victime de harcèlement en ligne, ce médecin généraliste et coordonnateur en Ehpad du Jura a été attaqué et insulté il y a tout juste un an par la fille d'une de ses patientes sur Facebook. Dans une lettre ouverte assassine partagée plus de 30 000 fois sur le réseau, Mme Michèle Fléchon dénonçait notamment la prise en charge de sa mère en fin de vie au sein de l'Ehpad. Elle a été condamnée le 4 juillet dernier par le tribunal de Lons-le-Saunier (Jura). Au civil, elle devra verser un euro symbolique au Dr Mailhes. Au pénal, Mme Fléchon devra régler une amende de 2 000 euros avec sursis et payer les frais de justice de la partie adverse, soit 2 000 euros.
Faits médicaux « inventés »
« Dans cette lettre, les faits médicaux sont tous inventés. Toute la prise en charge était tracée, l'équipe mobile de soins palliatifs a fait son travail », affirme aujourd'hui le Dr Mailhes, 61 ans. Mme Fléchon reprochait notamment au médecin de ne pas avoir « entendu les douleurs de sa mère », alors atteinte d'une ischémie aiguë du membre inférieur. Traité de « salaud » et invité à s' « acheter une paire de couilles », le médecin n'a pas hésité à porter l'affaire en justice. « Je rentrais de vacances lorsque j'ai découvert cette lettre sur internet, raconte le généraliste. Je ne pouvais pas laisser passer ça ». Il porte alors plainte pour diffamation et injures publiques.
En quelques jours, la publication devient de plus en plus virale sur les réseaux. Une période difficile à encaisser pour le coordonnateur de l'Ehpad Les Opalines de Foucherans. « Je voyais les partages augmenter chaque jour avec la frustration de ne pouvoir me défendre car je suis tenu au secret médical », confie-t-il. Il affirme même que l'Ehpad aurait reçu des menaces par téléphone d'un individu affirmant qu'il « viendrait lui casser la gueule ». Une plainte a d'ailleurs été déposée contre l'auteur de ces appels.
Menacé par téléphone
Une consœur de la région Rhône-Alpes, qui avait partagé la lettre de Mme Fléchon sur le groupe Facebook "Les médecins ne sont pas des pigeons", regroupant plus de 30 000 médecins, et qui avait commenté négativement sur le Dr Mailhes a également été la cible d'une plainte auprès de l'Ordre. « En conciliation, elle s'est excusée longuement, affirme le généraliste. J'étais toutefois très étonné par les réactions sur son partage. Certains commentaires de médecins ne valaient pas mieux que ceux déposés sur la lettre initiale de Mme Fléchon. Un confrère du Grand Est a également récemment écrit à l'ARS pour dénoncer ma prise en charge », informe le Dr Mailhes.
De cette année difficile qui vient de s'écouler, le praticien retient aussi le soutien dont il a bénéficié, du personnel de l'Ehpad, de ses confrères et consœurs, de l'Ordre, de son syndicat la CSMF, de ses patients… « Moralement, c'est difficile de tenir. Cette épreuve m'a permis de me rendre compte que je pouvais encaisser beaucoup de choses. J'ai beaucoup échangé avec mes confrères par SMS, la communication a été la clé », poursuit le Dr Mailhes.
« Les réseaux sociaux ne doivent pas devenir un tribunal »
Bien que le jugement ait eu lieu, l'affaire ne semble toutefois pas terminée pour le médecin jurassien. L'avocat de Mme Fléchon a assuré à l'issue de l'audience du 4 juillet qu'il ferait appel de la décision du tribunal de Lons-le-Saunier. Le Dr Mailhes a également confié au Généraliste qu'il venait d'apprendre que Mme Fléchon a déposé une plainte contre lui auprès de l'Ordre des médecins pour dénoncer la prise en charge de sa mère, « sur les conseils du médecin qui m'a attaqué dans un courrier envoyé à l'ARS ! », déplore le Dr Mailhes. « S'il y a bien une chose qui ne m'inquiète pas, c'est qu'on m'attaque pour des faits médicaux. J'ai toutes les réponses à apporter, je le répète, la prise en charge de cette patiente a été entièrement tracée », affirme le généraliste.
Le Dr Pierre-Henri Mailhes souhaite désormais que cette affaire sensibilise la profession mais aussi plus largement la population aux conséquences du cyberharcèlement et à l'importance de la e-reputation. « Je n'avais jamais vécu ça. Personnellement, j'ai eu la chance d'être bien entouré mais ce n'est pas toujours le cas. J'essaye d'en parler un maximum avec mes confrères et mes patients pour qu'ils soient vigilants. Lorsque la cible est un adolescent, le harcèlement sur les réseaux sociaux peut avoir des conséquences dramatiques, j'en vois dans ma patientèle. Les réseaux sociaux ne doivent pas devenir un tribunal », conclut le médecin.
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